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dite de la Grande-Bretagne, sur laquelle flotte seul le pavillon britannique.

14. — C’est toujours une opération grave qu’un débarquement ; nos escadres l’ont éprouvé plus d’une fois, notamment sur le sol chinois que je foule en ce moment, soit à l’embouchure du Pei-ho, soit en Corée ; le mien a été un véritable désastre. Pas plus à Hongkong que dans les autres ports de l’Asie en général, les navires d’un fort tirant d’eau ne peuvent accoster à quai ; tandis que les marchandises sont déposées sur de lourds chalands qui font va-et-vient entre le steamer et les wharfs, les passagers sautent dans de légères embarcations, les sampangs, où ils entassent leurs bagages, et franchissent ainsi à la rame ou à la voile la distance qui les sépare du rivage. Je m’étais installé ainsi avec un de mes compagnons de voyage dans un fragile esquif dont le roulis exagéré ne nous rassurait qu’à moitié ; arrivés à terre, je saute le premier pour quérir des porteurs de bagages ; mais la cohue de coulies qui se presse autour de l’escalier de débarquement ne me donne pas le temps de choisir ; trois, quatre, huit hommes se précipitent sur notre malheureux chargement, se disputent les malles, s’arrachent les porte-manteaux au milieu de vociférations sauvages, sans que la menace d’un parapluie inoffensif que brandit mon infortuné compagnon les décide à lâcher prise ; le canot décrit sous cette pression les mouvemens les plus inquiétans, et enfin, perdant tout à fait l’équilibre, chavire sens dessus dessous. Les huit coulies, mon camarade, le batelier, sa femme, les trois marmots, les caisses, les malles, les engins de pêche, de cuisine, un prodigieux amas de brimborions informes logés dans ce bateau, en un clin d’œil tout cela est à la mer, flotte, barbotte, s’accroche au voisin, hurle et suffoque dans six pieds d’eau au milieu d’une confusion indescriptible. On repêche tant bien que mal nos colis, mais les auteurs de cette déplorable équipée à peine sortis de l’eau se dissimulent dans la foule et s’enfuient au plus vite. Je réussis cependant à en attraper un, qu’un policeman empoigne par la queue, et tandis que mon compagnon essaye de se réchauffer, tandis que Hong-kong-hotel est transformé en séchoir, je me dirige séance tenante vers le tribunal de police. Il faut avouer que si la surveillance des quais est mal faite, la justice est en revanche expéditive. En moins de vingt minutes, j’ai comparu devant un officier de police qui a reçu ma plainte et l’a inscrite sur un registre ; le prévenu a été interrogé sommairement, nous avons été conduits à l’audience. Le magistrat, averti par l’officier instructeur, qu’il s’agissait d’un washing case (c’est ainsi, parait-il, que le fait est qualifié dans le langage de la magistrature locale), a entendu sous serment ma déposition, m’a approuvé d’avoir dénoncé ce méfait, contre lequel il faut, dit-il, faire un exemple, et