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s’ils flottent eux-mêmes dans une triste incohérence, ils n’ont devant eux que des conservateurs pour le moins aussi divisés. Au moindre incident, comme celui dont le discours du prince Napoléon a été l’autre jour le prétexte, la division éclate, passionnée, implacable. La vérité est qu’il y a toujours des bonapartistes, des légitimistes, des monarchistes de toute nuance, même des cléricaux ; il n’y a point ce qu’on pourrait appeler un parti conservateur rallié à une même politique, décidé à la faire triompher. Le sénat lui-même, où ce parti semblait exister, où l’on aurait pu croire qu’il s’était réfugié, le sénat vient de prouver ce qu’il y a de fragile dans ce faisceau de fractions conservatrices qu’on ne parvient quelquefois à réunir que pour un instant. L’exemple est d’hier ; c’est cette double élection qui vient de créer deux nouveaux sénateurs inamovibles. Après bien des efforts, bien des négociations intimes et trois scrutins consécutifs, le sénat est arrivé, à quoi ? Il a élu, à quelques instans d’intervalle, M. Chesnelong et M. le procureur-général Renouard. Deux listes se sont trouvées en présence : l’une, celle de la droite, avec M. Chesnelong et M. le général Vinoy ; l’autre, celle de la gauche, avec M. Renouard et M. André, homme de finances, aussi connu qu’estimé. Le sénat, en nommant un des candidats de la droite, a élu en même temps un des candidats de la gauche, et il ne pouvait certes mieux faire que d’appeler dans son sein M. le procureur-général à la cour de cassation. M. Renouard n’est pas seulement une des personnifications les plus éminentes de la magistrature française, un homme alliant la sûreté de la science à la gravité élégante du langage ; il représente certainement aussi les idées conservatrices dans ce qu’elles ont de plus juste, de plus sensé et de plus libéral. quant à M. Chesnelong, que les diverses fractions de la droite ont élu, il n’a pas été choisi sans doute pour ses opinions politiques, moins encore pour ses talens diplomatiques en souvenir de la mission qu’il a remplie en 1873 auprès de M. le comte de Chambord ; ce serait donc pour ses opinions purement cléricales que M. Chesnelong aurait eu la fortune de la candidature sénatoriale, et sous ce rapport on ne peut disconvenir que le choix de la droite ne soit au moins singulier. Il représente ce qu’il y a de moins fait pour aider à la formation d’un vrai, d’un large et libéral parti conservateur qui pourrait être éventuellement appelé à exercer le pouvoir. On dirait qu’une fatalité ironique nous ramène sans cesse à cette situation, où les républicains font vraiment quelquefois la chance belle aux conservateurs, mais où en revanche les conservateurs se hâtent de pallier les fautes des républicains, en faisant de leur mieux, par le spectacle de leurs divisions et de leur impuissance, les affaires de la république.

Est-ce à dire qu’il n’y ait rien à faire, qu’il n’y ait qu’à suivre avec découragement ce jeu stérile des partis ? Non certainement, et, si on le voulait, même avec tous les élémens qui existent dans la chambre des