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voudrait obtenir un mandat et des pouvoirs réguliers du conseil amphictyonique ; mais si les amphictyons ne se mettent pas d’accord avec lui, Philippe fera de son chef et en son propre nom la guerre sacrée.

Au commencement du mois dernier, l’empereur Alexandre donnait à lord Loftus l’assurance la plus solennelle qu’il ne désirait pas faire de conquête, et qu’il n’avait pas la moindre intention ni même le moindre désir de s’emparer de Constantinople. Qui peut douter de la sincérité de cette protestation ? Qui se permettrait de soupçonner la loyauté de celui qui l’a faite ? En 1853, l’empereur Nicolas était sincère, lorsqu’il disait à lord Seymour : « Je suis prêt à promettre que je ne prendrai jamais Constantinople. » Personne n’accuse sérieusement la Russie de vouloir aujourd’hui s’emparer de Constantinople ; mais l’empereur Nicolas disait à lord Seymour qu’il importait de mettre à la place de la Turquie quelque chose de mieux, et ce qu’il entendait par quelque chose de mieux, c’était de créer sur les bords du Danube des états slaves indépendans. Or il est presque impossible à cette heure de croire à l’indépendance des états slaves indépendans qu’on pourrait créer sur les bords du Danube. De récentes expériences nous ont éclairés à cet égard. Qui est maître aujourd’hui à Bucharest ? qui fait la loi à Belgrade ? Lord Palmerston affirmait, dès 1853, qu’il n’y avait que deux solutions possibles de la question d’Orient, qu’il s’agissait de savoir si la péninsule du Balkan appartiendrait aux Turcs ou aux Russes. Ce qui se passe en Serbie prouve que, dans les provinces où la domination du sultan est réduite à une simple suzeraineté, le vrai suzerain est le tsar, et que l’empire russe s’étend dès ce jour jusqu’aux frontières de la Bulgarie.

Depuis que lord Beaconsfield a parlé, depuis que le prince Gortchakof lui a répondu, les situations se sont dessinées, et l’antagonisme des opinions et des intérêts s’est nettement accusé. De part et d’autre, on veut le maintien de la paix et des réformes radicales dans l’administration turque ; mais lord Beaconsfield estime que le seul moyen de maintenir la paix est l’observation des traités signés par les grandes puissances européennes. A cela le prince Gortchakof répond que l’indépendance, comme l’intégrité de l’empire ottoman, doivent être subordonnées aux garanties jugées nécessaires pour le bonheur des sujets slaves de la Turquie. Ce qui est le principal pour l’Angleterre n’est que l’accessoire pour la Russie, et vice-versa, et malheureusement les garanties que réclame le cabinet russe en faveur des populations slaves ne sont pas faciles à concilier avec l’intégrité de l’empire ottoman. Voilà le nœud de la question.

Si nous en jugeons par les propositions que le plénipotentiaire russe présentera à la conférence de Constantinople, ce n’est pas chose aisée que de rendre heureux un Bosniaque, un Herzégovinien ou un Bulgare. Le programme de leur bonheur est très compliqué : il se compose de onze points, ni plus ni moins ; nous nous trompons, il faut en