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de protection et de bonté. De leur côté, ils tutoient les enfans confiés à leurs soins jusqu’à l’âge de la confirmation, ce qui n’empêchera pas la mère de leur donner l’ordre d’amener au salon « leurs petites seigneuries. » Sous le nom de Herrschaft (seigneurie) les domestiques désignent la maison tout entière, sans préjudice des titres scrupuleusement distribués à chacun des maîtres.

Disons vite que les interminables et assommantes cérémonies de l’étiquette recouvrent en Allemagne une franche cordialité. L’auteur du livre qui nous occupe raconte par exemple son arrivée dans une ville. Étrangère, munie de quelques lettres d’introduction, elle a eu pour premier soin de se procurer la liste des notables et de distribuer des cartes de porte en porte. Les cartes lui sont rendues dans le délai voulu, puis un peu plus tard, sans qu’elle ait encore vu personne, les invitations à dîner lui parviennent. Chez chacun de ses hôtes, elle doit, pour se conformer à l’usage, prier la maîtresse de la maison de la présenter aux dames. La présentation commencera par les excellences, en continuant par les personnes de moindre importance, sans que jamais les degrés de l’échelle soient intervertis. Cette formalité terminée, les maris des dames à qui vous avez tiré votre révérence viendront vous faire leur cour. Certes, ces complimens réglés d’avance sont un mortel ennui, mais vous aurez des compensations. Chacun prendra en patience votre mauvais allemand ; la moquerie est inconnue dans ces cercles, où la bienveillance égale la routine ; chacun vous tendra une main secourable pour vous tirer du bourbier impraticable des déclinaisons et se tiendra prêt à répondre, si vous le voulez, dans votre propre langue avec une facilité qui ne laisse pas de vous humilier ; en revanche, vous riez sous cape de l’accent baroque de vos interlocuteurs, parce que, n’étant point Allemande, vous avez le sentiment de ce qui est ridicule. — Vous remarquerez bien vite que, beaucoup plus que partout ailleurs, on considère ce que vous êtes et non ce que vous avez. S’il vous plaît de ne pas rendre les bals et les dîners auxquels on vous convie, vous ne serez pas moins invitée à tous ceux qui suivront ; agir autrement serait une impolitesse envers la caste à laquelle vous appartenez. Il n’y a en Allemagne que des préjugés de caste, il n’y en a aucun contre les individus : une femme de lieutenant sans le sou a autant d’occasions d’aller dans le monde qu’une duchesse millionnaire, et on ne lui saura pas mauvais gré d’être vêtue de simple mousseline. Rien de plus hospitalier que le Gesegnele Mahlzeit de votre voisin de table : — Puisse le repas être béni pour vous ! — ni que ce salut féminin entre amies : — Dieu t’accueille !

Mais, nous le répétons, la politesse n’existe en Allemagne que sous forme de cérémonies absurdes et de cordialité parfaite