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en a une, les ministres, le corps diplomatique, les fonctionnaires, les officiers, les marchands, les boutiquiers donnent chacun leur bal, et, règle générale, n’y reçoivent chacun que leur société particulière ; les intrus admis par exception au sein de la coterie ou de la corporation sont rarement contens de l’accueil qui leur est fait.

Dans tous les bals, tant de la cour que particuliers ou par souscription, le soin de conduire les danses est confié à un Vortänzer. Le Vortänzer, choisi parmi les jeunes gens à la mode, donne à l’orchestre le signal pour commencer et pour finir ; il dit tout haut : « Deux tours par la chambre, six couples se suivant. » Et de cette façon il maintient l’ordre, il n’y a point de robes déchirées ; les divisions de danseurs, guidées par le Vortänzer, se succèdent régulièrement, plus ou moins nombreuses, selon les dimensions du salon ; chacun a son tour, et le cotillon couronne naturellement la fête.

Nous en aurons presque fini avec les amusemens nationaux quand nous aurons mentionné le pique-nique champêtre, qui a beaucoup de vogue, peut-être parce qu’il permet une liberté relative entre la jeunesse des deux sexes. Le laisser-aller est loin d’être complet cependant ; les dames sont en toilette : on craint la pluie, on souffre de bottines trop étroites, on a pour des cousins, des araignées. L’excursion se borne à une promenade à pas comptés dans les bois jusqu’à la prochaine guinguette, où l’on vous sert de la salade, des gâteaux et des limonades. Rien de commun avec le joyeux pique-nique anglais, où l’appétit est aiguisé par une longue course, où la plus franche gaîté réunit de jeunes misses énergiques, sans prétentions, et de jeunes garçons qui pensent à tout autre chose qu’aux grimaces sentimentales ; rien de commun non plus avec le folâtre déjeuner sur l’herbe que Paul de Kock a fait connaître à toute l’Europe comme un trait caractéristique des mœurs françaises. La partie en traîneaux compte beaucoup d’amateurs, — sans doute à cause du privilège traditionnel : un baiser de la dame de votre choix. Cette longue liste de plaisirs doit suffire à prouver que, sans être d’humeur très vive ni très gaie, les Allemands sont sociables.


II

Élargissant peu à peu le cercle de ses observations, l’auteur de German home life passe des détails de la vie matérielle proprement dite à ces autres signes distinctifs du caractère d’un peuple, les manières et le langage. Tous les voyageurs en Allemagne sont d’accord sur un point : l’absence de savoir-vivre. Il suffit, pour prendre cette opinion, d’avoir dîné une fois à une table allemande, fût-elle princière ou même royale, et assisté aux jongleries qu’exécutent les