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accompagnent leurs maris et leurs frères au Biergarten et vident une chope virilement. Ces Bier- et Kaffee-Garten sont dans les petites villes une précieuse ressource pour les indigènes ; dans les grandes, ils offrent aux étrangers un spectacle intéressant et parfois magnifique. Ainsi la terrasse Bruhl, décrite par la comtesse Hahn-Hahn au début d’un de ses romans les plus célèbres, est une des curiosités de Dresde. Le clair de lune ruisselant sur les flots de l’Elbe où se mirent les quatre rangées de réverbères des doubles ponts, l’horizon confus des montagnes lointaines, les accens de Beethoven, de Schubert et de Strauss, les souvenirs historiques, la variété des types de promeneurs : étudians drapés de châles écossais, juifs de Posen et de Leipzig, élégantes en toilettes tapageuses, artistes et voyageurs de différens pays venus pour visiter les musées ou pour explorer les environs, tout contribue au charme de ces pittoresques et poétiques assemblées. A Vienne, elles ont un caractère plus léger et font penser davantage à notre ancien Tivoli ; mais en général une décence parfaite règne dans tous ces jardins publics.

La passion innée de la musique est un lien entre les Allemands de toutes les classes. On parvient, dans le plus pauvre village, à organiser un quatuor : le maître d’école, le sacristain, le meunier, le cordonnier, se réunissent pour jouer Bach ou Haydn. Les jeunes filles et les jeunes garçons entonnent en chœur, avec une précision merveilleuse, les touchantes mélodies populaires de la montagne et des bois, les Volkslieder, les Weisen ; de colline en colline, la chanson du chevrier répond à celle du pâtre ou du chasseur. Des bandes de pèlerins, traversant les lacs, élèvent sur l’eau leurs voix pieuses qui font penser à un concert céleste ; le soldat astique son fourniment une mélodie aux lèvres ; la laveuse a sa chanson, le forgeron a la sienne pour accompagner le bruit mesuré du battoir ou de l’enclume. Les étudians donnent à leur professeur une sérénade ; ces ménestrels errans sont des mineurs qui se rendent à quelque foire du voisinage. Les petits enfans mêmes, durant les tièdes soirées de mai, gazouillent d’une voix juste : « Maikäfer flieg. Hanneton vole. » Chateaubriand a raconté, dans ses Mémoires d’Outre-Tombe, comment il vit dans le crépuscule du soir des centaines d’artisans, se rassembler et entonner, en tenant chacun une page notée à la main, un chœur admirable. « Les Français, dit-il, sont bien loin de ce sentiment de l’harmonie, moyen puissant de civilisation qui a introduit dans la chaumière des paysans de l’Allemagne une éducation qui manque à nos hommes rustiques. Partout où il y a un piano il n’y a point de grossièreté. » — Ces paroles, vraies jusqu’à un certain point, ont besoin de commentaires ; la musique, qui adoucit certainement les mœurs, ne suffit pas toujours à les polir. L’Allemand peut être un rustre, un lourdaud, mais il