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le mur pour créer un fort courant d’air ; puis, en tournant une clé, on emprisonne l’air brûlant, de sorte que pendant huit ou dix heures vous avez chaud sans avoir besoin de vous occuper de votre feu ; mais combien la gaîté d’une bonne flambée nous dédommage, nous autres heureux possesseurs de cheminées ouvertes, du soin que nous prenons de l’attiser !

En traversant le salon et la salle à manger, nous avons détourné nos yeux avec horreur des affreux crachoirs qui s’abritent modestement derrière le poêle. Ils sont mieux à leur place dans le cabinet du maître de la maison ; ici l’odeur du tabac nous suffoque tout d’abord. C’est le sanctum sanctorum où s’entassent les petits ouvrages en perles, en tapisserie, au crochet, etc., déjà trop nombreux dans le salon, et qui témoignent de l’amour ou du respect de toutes les femmes de la famille pour le maître et seigneur. Les porte-cigares les plus variés, des panoplies d’armes, de cravaches et de pipes, une bouteille de bière, une paire de pantoufles en tapisserie, une robe de chambre, un habit de chasse (Joppe) jeté sur le sofa de cuir, nous initient aux mœurs de l’habitant de ces lieux. Les coussins les plus douillets sont placés à son intention dans cette embrasure de fenêtre, où l’on se plaît à savourer un doux far niente tout en observant, à l’aide de deux petits miroirs placés dehors à un certain angle, ce qui se passe dans la rue et même chez les voisins. Espion à part, les fenêtres sont fort commodément agencées ; elles s’ouvrent aussi facilement qu’une porte, et l’une des vitres est mobile, ce qui permet de faire entrer la quantité d’air dont on a besoin. Si le système de chauffage est en Allemagne insupportable aux étrangers, la ventilation nous y semble en revanche mieux entendue qu’ailleurs.

Si par privilège vous pénétrez dans le mystère de la chambre à coucher, vous serez plus étonné que jamais de l’absence de comfort. Côte à côte s’alignent deux petits lits. Comment deux êtres coulés dans un moule athlétique réussissent-ils à se blottir dans ces réceptacles lilliputiens ? Jamais un Français ni un Anglais n’est parvenu à le comprendre. Une montagne d’oreillers de crin, des draps si courts et si étroits qu’il est impossible de les border, un sac de plumes qui représente le cauchemar en personne, telle est la composition de cet instrument de torture. Pour peu que vous bougiez, les draps se roulent en cordes, les couvertures piquées glissent, vous gelez et vous étouffez tour à tour, selon que vous vous résignez à garder sur vous toute cette plume ou que vous vous décidez à la jeter au milieu de la chambre. — Une maigre descente de lit, des chaises, un petit miroir, une commode en bois peint,… ne cherchez rien de plus. Quant aux mille objets qu’ailleurs la femme considère comme indispensables, notre ménagère allemande les