Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/598

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les enfans de Paris, donnent beaucoup de besogne à la sœur chargée de ce service. Elle en vient à bout cependant, et, pour que les longs mois passés par eux à l’hôpital ne soient pas complètement perdus pour leur instruction, on a organisé une école composée des élémens les plus hétérogènes, depuis des bambins de quatre ans jusqu’à des grands garçons de quatorze, où les plus âgés ne sont pas toujours les plus instruits. Tout cela se lève, s’asseoit, salue, marche au commandement de la sœur et joue bruyamment dans l’intervalle des leçons. On pourrait se croire dans une école ordinaire, n’étaient les têtes enveloppées d’un bonnet ou dénudées par places, qui trahissent la maladie qu’on peut appeler par excellence la maladie de la malpropreté et de la misère.

Si la salle des teigneux n’est que bruit et mouvement, il n’en est pas de même de la salle des scrofuleux. Là aussi c’est la misère qui est cause du mal, en attendant que le mal soit à son tour cause de la misère. Nés de parens malsains et malsains eux-mêmes, affaiblis par de longues années de privations, rongés de plaies apparentes ou cachées, les enfans scrofuleux qui sont admis dans les salles de chroniques des hôpitaux de Paris ne conservent que bien peu de chance d’arriver à une guérison complète. Les plus heureux sont ceux qui attendent leur envoi à l’hôpital maritime de Berck, sur l’organisation duquel je reviendrai plus tard, et où d’excellens résultats ont été obtenus ; mais parmi ceux qui sont retenus à Paris à raison de la gravité de leurs affections, il en est bien peu qui ne soient pas destinés à mener une existence maladive et à végéter plutôt qu’à vivre. De plus, la gravité même des accidens qu’entraîne la scrofule les condamne le plus souvent à la plus rude des épreuves pour l’enfance, à l’immobilité absolue. J’ai vu à l’hôpital Sainte-Eugénie un malheureux enfant de six à sept ans atteint d’une coxalgie double et qui, les jambes emprisonnées depuis un an dans un appareil silicate, ne pouvait remuer que le buste. Tous ces enfans engendrés dans la misère sont en quelque sorte voués eux-mêmes à la misère ; sur dix, il n’y en pas un peut-être qui soit capable de faire un jour un bon ouvrier.

Les enfans admis à l’hôpital reçoivent deux fois par semaine la visite de leurs parens. Ces jours-là, l’aspect animé et nécessairement un peu bruyant des salles contraste avec leur silence et leur tranquillité ordinaires. Elles sont envahies pendant deux heures par une foule assez désordonnée, sur laquelle il est nécessaire d’exercer une certaine surveillance. « C’est, me disait un employé, notre jour de république. » Je ne sais si l’aspect de l’hôpital est égayé ou attristé par cette invasion. Pour quelques parens qui se réjouissent en constatant les progrès de la convalescence de leur enfant, combien y en a-t-il dont la douleur contenue, étourdie peut-être