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toutes les communes d’alentour, une foule immense était venue assister à ce spectacle si nouveau. Ce n’étaient pas la robe d’or et le grand collier du lord-maire, les robes écarlates des aldermen, les riches manteaux des conseillers municipaux qui causaient cet étonnement. Pour ceux qui connaissaient le sens et la force des traditions nationales, de dramatiques souvenirs se mêlaient aux impressions de surprise. La Cité de Londres dans le château de Windsor ! La grande commune dans la forteresse de la royauté ! En vue d’une circonstance si extraordinaire, les ministres avaient pensé que le discours du roi Louis-Philippe devait être préparé avec une attention spéciale. Le roi, disaient-ils, ne devait pas se fier à sa facilité habituelle ; il fallait là des paroles qui, plus méditées, plus condensées, pussent retentir plus haut et porter plus loin. Combiné le matin même entre le roi et M. Guizot, qui tenait la plume, le discours fut traduit en anglais par le comte de Jarnac. Ce n’est pas tout : la reine et le prince Albert passèrent une demi-heure dans le cabinet du roi à revoir cette traduction. Curieux détails, qui n’ont pas seulement la grâce d’une affaire intime arrangée en famille, puisqu’ils nous montrent surtout le grand intérêt de cette démarche faite par la Cité de Londres, et le prix que la reine y attachait.

Une circonstance d’un autre genre fit ressortir encore la cordialité de la réception faite en Angleterre au roi des Français. Le départ de Louis-Philippe avait été fixé au lundi 14 octobre. La reine et le prince s’étaient promis d’accompagner leur hôte jusqu’à Portsmouth, où le roi devait leur offrir à dîner sur le Gomer. Malheureusement une tempête épouvantable dérangea tout ce programme. Quand on fut arrivé sur la ligne du chemin de fer à la station de Clafence-Victualling-Yard, l’orage était si violent, les rafales si furieuses, qu’il fallut s’arrêter. Le royal cortège se réfugia dans les appartemens de M. Grant, garde-magasin de la voie. C’est là qu’un dîner fut préparé à la hâte, c’est là aussi qu’eut lieu un conseil sur le parti à prendre. Fallait-il retarder le départ ? Si. le roi tenait à partir pour ne pas causer d’inquiétude à la reine Amélie, fallait-il s’obstiner à suivre le chemin de Portsmouth ou se diriger vers Douvres ? De Portsmouth, le roi serait allé aborder au Tréport, c’est-à-dire à une faible distance du château d’Eu ; mais la tempête aurait-elle permis au navire de prendre la mer, et, une fois en mer, une fois la traversée accomplie, aurait-il abordé sans peine sur cette partie des côtes de la Manche ? L’ouragan sévissait moins fort du côté de Douvres ; de Douvres à Calais, on avait aussi bien moins de retards à craindre. Cet avis prévalut. Les adieux se firent à Clarence dans la maison du garde-magasin, puis le roi, reprenant la route qu’il avait déjà faite, partit dans la soirée pour Londres, prit le chemin