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seuls veillent. On entend les pas de l’officier de quart, et aussi la voix du commandant qui rappelle la route, et celle du timonnier qui lui répond. De temps en temps le ministre de la marine et l’amiral de La Susse paraissent sur le pont. Nous filons neuf nœuds. Le fanal royal est allumé dans la grande hune, et nous gardons un feu au haut du mât de misaine… » Le lendemain matin, mardi 8 octobre, vers 9 heures, le navire entrait dans le bassin de Portsmouth. Le roi prit son déjeuner à bord. Peu de temps après, il reçut la visite et les hommages des amiraux anglais sir George Cockburne et Bowler, de lord Adolphus Fitz-Clarence, de M. le comte de Sainte-Aulaire, ambassadeur de France, accompagné de M. le comte de Jarnac et des autres secrétaires de l’ambassade, et des consuls français accrédités dans le royaume-uni.

C’est aussi à bord du Gomer, dans la rade de Portsmouth, que commença cette série de manifestations communales qui fut un des caractères particuliers de cette réception du roi des Français sur le sol britannique. Le maire, les aldermen et bourgeois de la ville, « sujets loyaux et affectionnés de leur très gracieuse souveraine la reine Victoria, » s’en vinrent les premiers, avec la permission expresse de la reine, exprimer à l’hôte auguste de la nation anglaise les sentimens que leur inspirait cette visite. Le roi leur répondit en anglais, et, parmi tant de cordiales paroles qui soulevèrent les applaudissemens, on remarqua surtout cette déclaration : « Je pensais et je pense encore que le plus grand intérêt des deux nations, comme celui du genre humain, est la paix ; que sans la paix il ne peut y avoir de prospérité véritable, pas plus pour nous que pour nos voisins ; qu’il ne devrait point y avoir de jalousies nationales, et que, si elles ne peuvent être entièrement détruites, nous devrions du moins travailler toujours à y mettre un terme. » On savait que ce n’étaient point là des maximes de circonstance. La conversation familière qui suivit montra mieux encore quelle était la sincérité de ce langage. Au milieu des présentations et des shakehands, le roi parlait aux bourgeois de Portsmouth en homme qui connaissait leur cité, qui appréciait leurs intérêts communaux, qui se rappelait leurs affaires, leurs entreprises, leurs édifices publics. Et croyez-vous que ce premier speech, avec sa physionomie spéciale, fût seulement à l’adresse de Portsmouth ? Non, certes ; il allait bien au-delà de ses murailles. Dès le premier jour ; dès la première heure, le roi recommandait à tous l’esprit d’humanité, il mettait tous les Anglais en garde contre ces vieilles haines nationales qui, tout récemment encore, au sujet des affaires de Taïtî, malgré les efforts de sir Robert Peel et de lord Aberdeen, avaient failli compromettre la paix du monde. Sans aucune allusion directe, est-il besoin de le dire ? il enseignait une politique de justice et