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« qu’un des principaux désirs de sa politique était de voir le trône de France, après la mort de Louis-Philippe, passer sans convulsion au plus proche héritier légitime de la dynastie d’Orléans, » l’empereur répondit : « Je n’ai à cela aucune objection. Je souhaite tout le bonheur possible aux Français ; mais ce bonheur, ils ne l’auront pas sans tranquillité. Il ne faut pas qu’ils fassent d’explosion au dehors. Aussi, soyez-en bien convaincu, je ne suis pas le moins du monde jaloux de votre bonne entente avec la France, elle ne peut que produire de bons effets pour moi et pour l’Europe. Vous avez par la une influence que vous pouvez employer utilement. Au reste, je ne suis pas venu ici dans des vues politiques. Je désire gagner votre confiance, je désire que vous appreniez à croire que je suis un homme sincère, un homme d’honneur. Voilà pourquoi je vous dis ma pensée sur ces choses-là. Ce n’est pas par des dépêches qu’on arrive au résultat que je souhaite.

« On m’a envoyé il y a quelques années lord Durham, qui était plein de préjugés contre moi. Par mes seuls rapports avec lui, je lui ai chassé du corps tous ces préjugés. J’espère qu’il en sera de même ici avec vous, avec l’Angleterre en général, j’espère que nos relations personnelles détruiront tous les préjugés, car je fais grand cas de l’opinion des Anglais, mais ce que les Français disent de moi, je n’en prends nul souci, je crache dessus[1]. »


Le mot est vif, même dans une conversation familière. Il y a en France, comme en tout pays, des opinions, des clameurs, des injures, sur lesquelles un honnête homme peut cracher, puisque tel est le langage du tsar Nicolas. Ni l’Angleterre ni la Russie n’ont de privilèges à cet égard. Quant au jugement de ceux qui comptent, quant à l’opinion d’une race d’hommes qui a toujours brillé entre toutes par la courtoisie et la générosité, ce fut précisément le malheur du tsar Nicolas de ne pas en avoir eu plus de souci. S’il y eût été plus attentif, il aurait évité des termes si peu dignes de lui et de son temps. Assurément ce n’est pas là le ton de la société russe au XIXe siècle. Comment ne pas regretter ici qu’un souverain de cette valeur n’ait pu lire ce que M. Guizot a dit de lui dans bien des pages de ses Mémoires ? Certes, notre glorieux compatriote a mille raisons de ne pas aimer le tsar Nicolas ; sans cesse et partout il a rencontré son mauvais vouloir, en mainte occasion il a senti la pointe du glaive sous le velours des formes officielles. Ce n’était pas seulement la monarchie de 1830, c’était la personne de Louis-Philippe que le tsar prenait plaisir à blesser, et M. Guizot était trop dévoué à ses devoirs pour ne pas ressentir directement l’offense faite à son roi. Comparez cependant le jugement du tsar dans ses Mémoires avec les propos que celui-ci tenait à sir Robert Peel sur

  1. « I spit upon it. »