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faux ; je suis sincère, je dis ce que je pense et je tiens parole. » — Stockmar, ajoute que cette façon de se défendre ne devait pas lui réussir auprès des esprits défians. On sait le proverbe : Qui s’excuse s’accuse. Il y a pourtant de bonnes âmes que ne gênent ni la connaissance du cœur humain ni le besoin de réfléchir ; « il se peut, dit le conseiller de la reine, que la candeur de ces déclarations leur ait inspiré une parfaite confiance. »

Ce n’est pas seulement à lord Aberdeen que le tsar essaya d’inspirer des soupçons contre la France ; il eut aussi une conférence avec sir Robert Peel et lui exposa les mêmes idées, sans en varier beaucoup l’expression. Stockmar nous le représente auprès du premier ministre donnant un libre cours à sa verve et pérorant comme du haut d’une tribune. Ils se trouvaient tous deux dans l’embrasure d’une fenêtre, et le tsar parlait si haut, criait si fort, que sir Robert Peel dut le prier de changer de place. La croisée était ouverte, les passans n’allaient-ils pas entendre les secrets du tsar ? Les deux illustres causeurs se reculèrent au fond de la pièce, et le tsar recommença de plus belle. Laissons-leur la parole. Sir Robert Peel a raconté la scène à Stockmar, qui s’est empressé de la transcrire :


« L’empereur s’exprimait avec une chaleur extraordinaire, il fit l’éloge du prince Albert les larmes dans les yeux, puis tout à coup : « Je sais bien, dit-il, que je passe pour un comédien, je n’en suis pas moins un homme sincère. »

« On vit de nouveau par cet entretien que l’Orient à cette date occupait exclusivement son attention. « La Turquie s’écroule, disait-il, ses jours sont comptés. Nesselrode dit que non, moi, j’en suis convaincu. Le sultan n’est pas un génie, mais c’est pourtant un homme. Supposez qu’il lui arrive malheur, que verra-t-on après sa mort ? Un enfant avec une régence. Je ne veux pas un pouce du territoire de la Turquie, mais je ne permettrai pas qu’un autre en prenne un pouce non plus. »

« Le premier ministre répondit que l’Angleterre était dans la même situation à l’égard de l’Orient. La politique anglaise ne s’était un peu modifiée que sur un point, c’était au sujet de l’Égypte, L’Angleterre ne consentirait point à voir s’établir dans ce pays un gouvernement trop fort, un gouvernement qui pourrait lui fermer la route du commerce, qui pourrait refuser le passage à la malle des Indes.

« L’empereur continua : « On ne peut stipuler maintenant sur ce qu’on fera de la Turquie après sa mort. De pareilles stipulations précipiteraient sa ruine. Aussi ferai-je tout pour maintenir le statu quo, mais il est nécessaire de considérer honnêtement, raisonnablement, le cas possible de cette chute, il est nécessaire de s’entendre sur des idées justes, d’établir un accord loyal en toute sincérité. »

« Le ministre ayant dit dans sa réponse en forme de parenthèse