Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/562

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

présente naturellement à l’esprit, il court au-devant d’elle et la repousse avec violence. Cette réponse ou plutôt cette objection, pour n’en citer qu’une seule, ce pourra bien être celle-ci : « Vos craintes, sire, ne s’appliquent en aucune manière à la situation présente. Vous parlez comme si lord Palmerston était encore chef du foreign office et M. Thiers président du conseil. Aujourd’hui c’est M. Guizot qui dirige la politique extérieure de la France, c’est lord Aberdeen qui dirige celle de l’Angleterre. Lord Aberdeen et M. Guizot unissent loyalement leurs efforts pour assurer la paix du monde. » C’est alors que le tsar jette ces paroles amères, injurieuses, ces paroles qui se comprennent comme réponse irritée à une objection embarrassante, mais qui, présentées ainsi qu’elles le sont dans les notes de Stockmar, arrivent on ne sait pourquoi :


« Je n’aime pas du tout Guizot. Je l’aime moins encore que Thiers ; celui-ci est un fanfaron, mais il est franc ; il est bien moins nuisible, bien moins dangereux que Guizot, lequel s’est odieusement conduit envers Molé, le plus honnête homme de France. »


Et d’où venait donc cette violence de langage ? Il n’est pas difficile de le deviner, si l’on se place au point de vue du tsar Nicolas. C’est M. Guizot qui, par la convention du 13 juillet 1841, avait pris sa revanche du 15 juillet 1840 et replacé la France dans le concert européen. En réalité, c’était le rétablissement des bons rapports entre l’Angleterre et la France, précisément le contraire de ce que la diplomatie russe avait espéré faire dans la crise de l’année précédente. Rien ne peut donc être plus honorable à la mémoire de M. Guizot que cette aversion déclarée du tsar. Il est bien entendu qu’il ne s’agit point de M. Molé, dont le souvenir évoqué ici n’apparaît que pour le besoin de la cause. Quels que fussent les torts de M. Guizot envers M. Molé, quelle que fût la gravité de sa faute dans l’affaire de la coalition, tout cela n’a rien à faire avec sa politique extérieure ; le grief du tsar contre M. Guizot ne tient pas à M. Molé, il tient à des services rendus à la France et qui honoreront toujours la mémoire de M. Guizot.

En voyant toutes les habiletés, je ne veux pas dire toutes les roueries, de ce grand et puissant personnage pendant sa visite à Windsor, il y a un mot qui se présente nécessairement à ma pensée et que je m’empresse d’écarter par un sentiment de respect. Vain effort ! Ce mot, que je ne veux pas écrire, je le retrouve non pas seulement dans les notes de Stockmar, mais dans la bouche même de l’empereur. « Il y a, dit Stockmar, une phrase dont il se servait souvent, une phrase répétée par lui à presque toutes les personnes devant lesquelles il a eu occasion de s’épancher : — Je sais, disait-il, que l’on me prend pour un comédien, mais rien n’est plus