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protection. Que diriez-vous si je devenais le protecteur d’O’Connell, si je voulais en faire mon ministre ? En ce qui concerne Skrzynecki, la situation n’est pas aussi grave, il avait déjà quitté le service ; mais pour Kruczewski, c’est tout autre chose, le cas est sans excuse. Celui-là était aide-de-camp de mon frère Constantin ; Léopold lui a donné auprès de lui un poste de confiance, il l’a nommé général. Est-ce qu’un gentleman peut se conduire ainsi envers un gentleman ? Dites à votre reine que le jour où sa majesté me fera savoir que les Polonais ont quitté le service du roi des Belges, ce jour-là même mon ministre recevra l’ordre de se rendre le plus promptement possible à Bruxelles.

« Je n’ai jamais reconnu la révolution de Belgique, je ne la reconnaîtrai jamais. Plus tard cependant j’ai reconnu l’état belge. Je sais tenir ma parole, je respecte les traités et m’y conforme loyalement. C’est donc mon devoir de veiller désormais au maintien de la Belgique, comme au maintien de tout autre état constitué en Europe. Je désire la prospérité de la Belgique comme celle de tout autre état. »


Cette question de la Belgique, si vifs que fussent les griefs de Nicolas contre le gentleman protecteur des rebelles, n’était pourtant à ses yeux qu’une question de second ordre. Sa grande préoccupation, c’était la France. Lord Aberdeen n’avait point à lui en parler ; le tsar, sans lui laisser le temps de répondre, sans attendre ce qu’il dira de ce vigoureux argument ad hominem tiré de l’agitation irlandaise, passe tout à coup à ses griefs contre la France de 1830 et la personne de Louis-Philippe. C’est là ce qui l’occupe avant tout, c’est pour cela qu’il est venu en Angleterre. Écoutez ses déclarations :


« Louis-Philippe a rendu de grands services à l’Europe, je le reconnais. Moi, personnellement, je ne serai jamais son ami. On dit que sa famille est exemplaire et parfaitement aimable ; mais lui, qu’a-t-il fait ? Pour asseoir sa position, pour la consolider, il a cherché à miner souterrainement la mienne, à me ruiner comme empereur de Russie[1]. Je ne le lui pardonnerai jamais. Je ne suis point carliste. Quelques jours avant la promulgation des ordonnances de juillet 1830, j’avais mis Charles X en garde centre toute idée de coup d’état, je lui en avais fait prédire les conséquences ; il me donna, ce Charles X, il me donna sa

  1. C’est une allusion aux affaires de Pologne en 1831. On sait que le gouvernement de Louis-Philippe, sous le ministère Perier, fit de pressantes instances à Londres pour décider le cabinet de Saint-James à se porter avec lui médiateur entre le tsar et les Polonais. La note du 20 juin 1831, remise à lord Palmerston par notre ambassadeur, parlait « d’assurer à la Pologne une existence politique et nationale. » Lord Palmerston repoussa ces ouvertures, disant que de telles démarches étaient inutiles, à moins d’être appuyées par les armes, et que les bons rapports du roi d’Angleterre (Guillaume IV) avec l’empereur de Russie ne permettaient pas de courir ces chances extrêmes.