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première vue, aux principes qui en découlent et à l’exécution diplomatique de l’affaire conformément à ces principes. Suivant leur manière de voir, ce qui fait le fond du dissentiment survenu entre elles et la France, c’est bien moins ce qui s’est passé et ce qui peut se passer encore entre le sultan et le pacha, que les maximes et prétentions pleines de périls élevées par la France à la face de l’Europe. Elles disent : « La France a pris le prétexte des affaires d’Orient pour établir en faveur du pacha certains principes qui, s’ils étaient acceptés par le reste de l’Europe, mettraient fin à tout droit des gens et menaceraient nécessairement l’existence de tous les états. C’est à cause de ces principes subversifs que nous devons résister à la France, et non pas à cause des prétentions mêmes qu’elle a élevées pour le pacha en Syrie. Nous avons tous besoin de la paix et nous attachons le plus grand prix à un bon accord avec la France. Nous sommes prêts à confirmer cela par des faits, aussitôt que la France sera replacée à notre égard sur la base du droit des gens et de l’équité ; mais ce principe annoncé par la France, à savoir que le pacha doit conserver l’Égypte et la Syrie, parce que la France le considère comme un élément nécessaire de l’équilibre politique actuel, il nous est absolument impossible de l’admettre, alors même que ce refus de notre part devrait amener la guerre. En faisant une pareille concession, l’Angleterre semblerait accorder à la France le droit de dire : « O’Connell, engagé dans une lutte heureuse contre la Grande-Bretagne, doit être reconnu comme belligérant, car nous voyons en lui un élément nécessaire de l’équilibre européen. »


Ces paroles, à les supposer exactes, diminueraient un peu le mérite qu’a eu M. Guizot de faire accepter aux quatre puissances la convention du 13 avril 1841 ; l’esprit de cette convention n’est-il pas celui-là même qui, selon Stockmar, animait d’avance les gouvernemens alliés ? Et en même temps elles aggraveraient sa responsabilité d’ambassadeur ; n’est-il pas clair, en effet, qu’il eût été bien facile de prévenir la crise de 1840, le dissentiment ne portant alors que sur les argumens employés par la France, et non sur les rapports du sultan avec Méhémet-Ali ?

Nous déclarons, quant à nous, que ce curieux récit ne nous inspire aucune confiance. Stockmar bien certainement a entendu les ministres s’exprimer de la sorte, ce n’est pas là-dessus que porte notre doute, mais comment n’a-t-il pas compris avec sa finesse habituelle que les hommes d’état anglais et russes étaient obligés de dissimuler ici leurs véritables sentimens ? ni l’Angleterre, en s’alliant à la Russie, ni la Russie en s’alliant avec l’Angleterre, ne pouvaient donner les vrais motifs qui les réunissaient dans cette action commune contre Méhémet-Ali. L’Autriche et la Prusse se trouvaient dans le même cas, quoiqu’elles fussent moins intéressées