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le récit le plus complet et le plus attachant que nous ayons des débats relatifs au traité du 15 juillet 1840.

Ces réserves faites, et sans entrer dans le détail d’affaires si compliquées, nous dirons simplement que les notes de Stockmar, si elles sont vraies, simplifient beaucoup la question. On croyait jusqu’ici que la pensée de M. Thiers en 1840 avait été de préparer une solution des affaires d’Orient qui ne fût ni la solution anglaise ni la solution russe. L’Angleterre veut maintenir l’intégrité de l’empire ottoman le plus longtemps possible ; la Russie veut profiter le plus habilement possible de toutes les circonstances qui amèneront l’inévitable chute de l’empire ottoman. Qu’arrivera-t-il au lendemain de cette chute ? Une guerre générale où les combattans principaux seront nécessairement le Russe et l’Anglais acharnés à se disputer le Bosphore. Eh bien ! M. Thiers, en aidant Méhémet-Ali, pacha d’Egypte, à se constituer une souveraineté héréditaire et à s’agrandir en Syrie aux dépens du sultan, croyait préparer aux héritiers de Mahmoud un successeur assez fort pour de jouer à la fois l’ambition russe et l’ambition anglaise. L’idée était grande et hardie. Seulement, on le vit bientôt, M. Thiers s’était fait illusion. Séduit par le génie et l’audace de celui qui lui apparaissait comme le Napoléon de l’Europe orientale, il avait trop compté sur les ressources de l’Egypte. Les troupes du pacha vaincues à Saïda, à Beyrouth, à Saint-Jean d’Acre, le prestige de Méhémet-Ali devait promptement s’évanouir, sa défaite allait entraîner celle de M. Thiers. Il faut ajouter que l’Angleterre et la Russie, très inquiètes toutes les deux de l’audacieuse conception du premier ministre de France, s’étaient empressées de conclure un traité qui protégeait l’empire ottoman contre les entreprises de son vassal ; c’est la préparation de ce traité qui avait échappé à la sagacité de M. Guizot. Appliqué à regarder les choses de très haut, il n’avait pas vu l’écueil sous ses pas. Voilà, en quelques mots, le résumé des faits qui précédèrent le traité du 15 juillet 1840. M. Thiers, dans l’élan d’une idée ingénieuse et puissante, avait été trompé comme ministre par son imagination ; M. Guizot, engagé dans la même politique, n’avait pas su voir et détourner à temps, comme ambassadeur à Londres, l’orage que cette politique devait produire.

Écoutons maintenant le baron de Stockmar. Sur les faits eux-mêmes, nul désaccord possible. Il s’agit seulement de savoir comment il les apprécie, et à ce propos quels sentimens il attribue à nos hommes d’état, quelles visées ultérieures il leur prête. Voici donc ce qu’il écrit le 21 novembre 1840 :


« Jusqu’à présent, les quatre puissances alliées restent fidèles à leur