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bien souvent un procédé très politique, à la condition qu’on n’en abuse pas et que le sentiment de l’opportunité n’y fasse jamais défaut.

Ce qu’il y a d’intéressant ici et ce qui pique si vivement notre curiosité, c’est que les affaires nécessaires, à cette date, ou du moins les conversations inévitables, devaient porter sur des événemens qui avaient agité l’Europe et failli mettre le feu aux poudres. Que de choses en ces quatre derniers mois, de juillet à novembre ! Pendant cette lune de miel de Windsor, sous cette clarté si poétique, tandis que la reine semblait ne s’occuper que de la position du prince, tandis que Stockmar travaillait si adroitement à faire voter le bill de régence, quels coups de politique avaient été frappés en Europe ! Au 15 juillet, le traité de Londres ; l’Angleterre, la Russie, l’Autriche, la Prusse, alliées pour défendre l’empire ottoman contre Méhémet-Ali, le protégé de la France ; la France isolée, menacée même et obligée de reculer, si elle ne veut affronter une lutte contre l’Europe entière en faveur d’une cause qui la regarde si peu ; enfin l’éclatant échec diplomatique de M. Guizot, l’éclatant échec politique de M. Thiers, et la formation incorrecte du cabinet du 29 octobre ! Évidemment les conversations du prince avec les ministres pendant la maladie de la reine ne devaient pas rester étrangères à de tels événemens. Combien il est regrettable que le livre des Early years se borne à cette indication sommaire et ne nous fournisse aucun détail sur les sujets politiques qui se trouvaient nécessairement à l’ordre du jour !

À défaut des confidences que nous refuse l’éditeur des Early years, nous avons du moins les notes de Stockmar, tracées dans ce temps-là même à Buckingham-Palace. Précisément vers la fin de novembre 1840, c’est-à-dire à la date où nous voici arrivés, Stockmar écrivait dans son journal des pages fort curieuses sur le traité du 15 juillet. Était-ce le résumé de ses entretiens avec les hommes politiques d’Angleterre ? était-ce le fruit de ses propres méditations ? Je ne sais ; en tout cas, la chose vaut la peine qu’on s’y arrête un instant. Les idées que le baron exprime sont des plus singulières et tout à fait inattendues ; qu’il y ait lieu de les retenir comme des bizarreries ou de les réfuter comme des sophismes, l’incident nous appartient, puisqu’il peut intéresser l’histoire.

Nous ne venons pas, bien entendu, recommencer après tant d’autres, le récit des négociations qui précédèrent et suivirent le traité signé à Londres le 15 juillet 1840. Ce traité, par les conséquences qui s’y rattachent, a été une des grosses affaires du siècle. Pour ne citer qu’un seul des publicistes qui ont parlé de cette vive bataille, on sait quelle place elle occupe aux cinquième et sixième volumes