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II.

Quelques jours après le vote du bill de régence, au commencement du mois d’août 1840, Stockmar était allé revoir sa ville natale, en promettant au prince Albert de revenir à Londres pour les couches de la reine. Le royal enfant était attendu vers la fin du mois de novembre. Stockmar, fidèle à sa promesse, quitta Cobourg à l’heure dite et revint trouver ses augustes amis. C’est à Londres, dans le palais de Buckingham, que devait avoir lieu l’accouchement. La reine était venue s’y installer le 13, après avoir quitté non sans regret ce château de Windsor où elle avait passé tant de belles heures. Le 21, la ville de Londres et bientôt tout le royaume apprirent qu’une fille d’Angleterre, la princesse Victoria, venait de naître à Buckingham-Palace.

Quand même on n’aurait pas ce livre intime écrit par le général Grey sous la direction de la reine, on devinerait aisément quelles furent pour le couple royal les joies et les bénédictions du foyer domestique. Le 23 novembre, le prince écrivait à son père : « Victoria est aussi bien que si rien n’était arrivé. Elle dort bien, elle a bon appétit, elle est parfaitement calme et fort enjouée. La petite est toute gentille, toute souriante… Certainement j’aurais mieux aimé que ce fût un fils, c’était aussi le désir de Victoria, mais nous n’en sommes pas moins heureux et reconnaissans. » Et cette reconnaissance envers Dieu, il l’exprime vraiment du fond de son cœur. Chacune de ses lettres y revient en des termes où l’on ne sent ni affectation, ni banalité. « Jamais, écrit-il le 24 à sa grand’mère la duchesse douairière de Gotha[1], jamais nous ne pourrons être assez reconnaissans à Dieu de la manière dont tout s’est passé ! » Il avait eu de si vives émotions, il avait ressenti des craintes si poignantes ! La reine elle-même complète ce tableau quand elle décrit en son journal les soins, les attentions, le dévoûment cordial du prince. Tout le temps que dura le rétablissement de la reine, il resta près de son lit, guettant un signe, devinant une pensée, allant au-devant de ses désirs, tantôt lui faisant la lecture, quand la malade put supporter le bruit de la voix, tantôt même écrivant sous sa dictée. « Ses soins, dit la reine, étaient ceux d’une mère ; on ne saurait rien imaginer de plus sage, de plus judicieux et de plus tendre. »

Le prince avait un auxiliaire sur lequel il pouvait compter comme

  1. Il ne faut pas confondre la duchesse douairière de Gotha, grand’mère maternelle du prince Albert, avec sa grand’mère paternelle, la duchesse douairière de Cobourg, morte le 16 novembre 1831.