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le pouvoir de s’organiser spontanément et de donner ainsi naissance aux fermens, ou si les divers fermens pouvaient se transformer les uns dans les autres, comme le prétendent les adversaires de M. Pasteur, — car ces idées, qui étaient déjà nettement formulées par Turpin il y a quarante ans, ont encore de chauds partisans au sein même de l’Académie des Sciences, où elles sont soutenues par des savans de la valeur de M. Fremy et de M. Trécul. On ne pourrait donc assez multiplier les expériences destinées à démontrer qu’aucune fermentation ne se déclare sans l’intervention de germes organisés, et que les divers fermens sont des êtres indépendans les uns des autres, qui se propagent par des germes ou spores.

Nous savons déjà qu’une ébullition de quelques minutes rend le moût de bière inaltérable au contact de l’air pur, c’est-à-dire de l’air privé de germes. Pour tous les liquides organiques, il existe en effet une température à laquelle il suffit de les porter pendant un temps très court pour les rendre inaltérables dans les mêmes conditions : pour le vinaigre, cette température est de 50 degrés ; pour le vin, il faut quelques degrés de plus; le moût de bière non houblonné doit être porté à plus de 90°, le lait à 110°, pour qu’il perde la faculté de s’altérer spontanément, c’est-à-dire sans être ensemencé par les germes qu’il pourrait recevoir du dehors. Une fois chauffés au degré convenable, tous ces liquides peuvent être conservés indéfiniment dans un ballon rempli d’air pur et communiquant avec l’air extérieur par un col effilé où les poussières ne pénètrent pas.

Les liquides organiques qui existent dans l’intérieur des êtres vivans en pleine santé sont également inaltérables au contact de l’air pur. Le sang, l’urine, les liquides de l’œuf, toutes ces substances que nous sommes habitués à considérer comme éminemment putrescibles, on peut les garder intactes aussi longtemps qu’on veut, à la seule condition de les mettre à l’abri des germes de microphytes et de microzoaires qui sont répandus un peu partout. Voici par exemple une expérience que M. Pasteur a instituée, il y a plus de dix ans, avec l’aide de M. Claude Bernard. Après avoir rempli d’air purifié par le feu un ballon de verre muni d’une tubulure, on prend un chien bien portant, on met à nu une veine ou une artère de l’animal, on pratique une incision, on y introduit l’extrémité d’une tube à robinet qui communique avec la tubulure du ballon, puis on ouvre le robinet, et on laisse le ballon se remplir à moitié de sang. On referme ensuite le robinet, et le ballon est abandonné à lui-même. Dans ces conditions, le sang ne se putréfie pas, même par les plus grandes chaleurs de l’été : l’odeur reste celle du sang frais, ou devient une odeur de lessive; les seuls changemens qu’on remarque, c’est d’abord une lente oxydation, puis des