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« A mon sens, il y aurait deux moyens : l’un ostensible, l’autre secret. Le premier serait de soumettre hardiment la question à l’examen de l’opinion publique : par exemple, si moi ou un autre membre du cabinet, ou même le roi, nous déclarions officiellement, ou dans un discours d’occasion, ou enfin devant le parlement, quelles sont les dispositions du gouvernement au sujet des affaires religieuses. Le second moyen serait d’envoyer un agent secret dont la présence à Rome devrait être ignorée de nos adversaires et partant d’Antonelli; cet agent aurait la pensée tout entière du gouvernement, de façon à inspirer la persuasion qu’il porte réellement des propositions sérieuses et qu’il peut tout recevoir... » Cavour ne se refusait par le fait aucun de ces moyens; il s’en servait alternativement, quelquefois simultanément, en homme qui alliait à une impétueuse logique de pensée la plus rare flexibilité de procédés pratiques.

Il faut bien savoir que, même au plus fort de ses luttes et de ses crises, Cavour ne restait pas longtemps sans avoir des rapports secrets avec Rome. Aux premiers mois de 1860, un aumônier du roi, l’abbé Stellardi, avait été envoyé auprès du pape, avec la mission de proposer un vicariat qui se serait étendu à l’Ombrie et aux Marches en même temps qu’aux Légations. Pie IX avait écouté avec douceur, avec une certaine émotion; il avait même discuté, il avait fini par refuser son adhésion. Au moment de l’invasion des Marches, ou au lendemain, Cavour, loin de chercher à envenimer la rupture, s’efforçait au contraire d’atténuer les ressentimens à Rome, et se flattait de pouvoir tirer parti des événemens. Il se hâtait de rendre sans conditions des prisonniers qu’on lui avait demandés, et dès la fin d’octobre il écrivait à un ami, médecin fixé à Rome, homme intelligent et habile, le docteur Pantaleoni : « J’envoie à Rome une personne chargée de rendre les gendarmes prisonniers. La même personne est chargée de s’informer si le saint-père commence à reconnaître la nécessité d’en venir avec nous à des accords qui pourraient être très convenables pour la cour romaine, qui assureraient son indépendance spirituelle bien plus efficacement que les armes étrangères. » Le docteur Pantaleoni, fort mêlé au monde romain, lié avec des membres du sacré-collège, avait eu de son côté la même idée. De là toute une négociation secrète qui remplissait les derniers mois de 1860 et les premières semaines de 1861, à laquelle se trouvait bientôt associé le père Passaglia. D’autres négociations s’entre-croisaient encore; la principale restait celle de M. Pantaleoni. Cavour ne laissait rien ignorer à l’empereur, qui, lui aussi, avait ses projets, mais qui finissait par se rallier au travail mystérieux déjà engagé. De quoi s’agissait-il? Le programme était, avec des avantages plus considérables, la première ébauche