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à propos de la formation de cette armée, — que lui Cavour allait disperser. Il savait l’imprudence de toutes ces manifestations semi-politiques, semi-religieuses, qui pendant quelque temps s’étaient succédé au Vatican, qui étaient dirigées contre l’empire autant que contre l’Italie[1]. Il savait enfin, pour l’avoir lu dans la brochure le Pape et le Congrès, que Napoléon III, protégeant le pouvoir temporel à Rome et dans la Comarca, abandonnait les Marches aussi bien que la Romagne.

Dès lors il savait d’avance la mesure dans laquelle la politique française pourrait se mouvoir, et quant à l’attaque de l’Autriche dont avait parlé Napoléon III, il n’en était pas à la pressentir. Il comprenait le danger d’une attaque autrichienne pendant que les principales divisions piémontaises seraient dans le midi. Il ne s’endormait pas; il avait déjà des rapports avec des Hongrois, il mettait tout en œuvre pour réunir des forces en Lombardie et il écrivait à La Marmora : « Dans les graves circonstances où est la patrie, je suis sûr que tu ne trouveras pas singulier que je me tourne vers toi avec la même confiance que je t’ai toujours témoignée quand nous étions collègues et amis... Je me flatte que tu ne me refuseras pas ton concours pour préserver le pays des périls qui peuvent le menacer. L’invasion des Marches, rendue nécessaire par l’entrée de Garibaldi à Naples, donne à l’Autriche un prétexte pour nous attaquer. La France le reconnaît et parait peu disposée à s’y opposer par les armes. Nous ne devons compter que sur nous. Je crois, il est vrai, peu probable un mouvement agressif de l’Autriche, qui dans les conditions intérieures de l’empire serait périlleux pour elle. Tout est cependant possible... » Au fond, il calculait que la France ne se dégagerait pas aussi aisément de toute solidarité avec l’Italie, et que dans tous les cas elle restait intéressée à contenir l’Autriche. De toute façon, il avait fait ce qu’il avait pu : il veillait sur le Mincio d’où pouvait partir l’attaque, il ne cessait de négocier avec les Tuileries, il était sûr de l’Angleterre, qui en ce moment même défendait avec une vivacité singulière à Vienne le Piémont et sa politique d’intervention, — et c’est ainsi qu’il s’élançait.

Faire vite! Cavour n’avait pas besoin que l’empereur lui dît ce mot, — qui eût été certainement étrange, venant de celui qui l’aurait

  1. C’était l’époque où, suivant les rapports diplomatiques officiels, l’on recevait les visiteurs aux portes du Vatican en leur demandant s’ils étaient Bretons, et où l’on disait triomphalement : « Le pape reçoit les hommages de la Bretagne! » A un habitant de Lyon qui, bien que fervent catholique, ne croyait pas devoir répudier sa nationalité, on disait : « Monsieur, on est sujet du pape avant d’être sujet de son souverain; si vous ne professez pas ces doctrines, pourquoi êtes-vous ici? » Je rappelle ceci pour montrer que Cavour, étant au courant de tout, avait quelque raison de croire que l’action de l’empereur à Rome serait nécessairement assez tiède.