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de l’Ombrie et des Marches accourues à Turin pour demander la protection du roi.

Cavour n’avait pas le temps d’attendre s’il voulait devancer Garibaldi qui arrivait déjà à Naples; il se servait de tout, et en appuyant sa sommation de la menace d’une prompte exécution militaire, il se hâtait de commenter pour l’Europe cette brusque entrée en action. L’habileté de Cavour était de préciser la question, de faire de l’intervention piémontaise une garantie contre les déchaînemens révolutionnaires, d« mettre en réserve l’affaire de Venise, dont la solution devait être laissée au temps, et de prodiguer les marques de respect au pape en le rassurant au moins sur l’intégrité du patrimoine de Saint-Pierre. L’ordonnateur de l’invasion des Marches finissait même en témoignant, comme il le disait, « la confiance que le spectacle de l’unanimité des sentimens patriotiques qui éclatent aujourd’hui dans toute l’Italie, rappellera au souverain pontife qu’il a été, il y a quelques années, le sublime inspirateur de ce grand mouvement national. » Il avait besoin de toutes ses ressources pour se tirer de cette nouvelle campagne.

Que malgré toutes les explications et les protestations l’Europe dût s’émouvoir de ce coup de théâtre, que l’Autriche pût être tentée die chercher dans ces complications nouvelles l’occasion qu’elle ne cessait de poursuivre, Cavour s’y attendait bien, il s’attendait à tout. Il avait du moins pris la précaution, avant de s’engager, de confier ses projets à la France, d’avoir l’air de consulter le chef du gouvernement français. Il avait envoyé le ministre de l’intérieur Farini et le général Cialdini à l’empereur qui passait à Chambéry. Napoléon III n’avait nullement dit le mot qui lui a été si souvent prêté : fate presto! il avait écouté en silence, avec une certaine préoccupation, comprenant parfaitement l’acte qui se préparait, reconnaissant la sagacité de Cavour, mais se refusant à toute promesse, à tout engagement, et au lendemain de l’entrevue de Chambéry il répétait encore : « Si le Piémont croit cela absolument nécessaire pour se sauver lui-même et pour sauver l’Italie d’un abîme de malheurs, soit; mais c’est à ses risques et périls; qu’il réfléchisse bien que si l’Autriche l’attaque, la France ne peut le soutenir... » Pour celui qui avait traité souvent avec l’empereur, qui avait plus d’une fois entendu ce langage, qui était accoutumé aux réserves, aux indécisions de cette pensée compliquée, cela suffisait. Cavour connaissait Napoléon III. Il savait ce qui s’était passé à Rome précisément