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opérations concourant à un même but, il avait l’œil et la main à tout, il multipliait les instructions reflets d’une pensée toujours nette et résolue. Il écrivait à Persano : « .. L’objet réel est de faire triompher à Naples le principe national sans l’intervention mazzinienne... — Il s’agit de sauver l’Italie des étrangers, des mauvais principes et des fous... — Si la révolution ne s’accomplit pas avant l’arrivée de Garibaldi, nous serons dans des conditions très graves ; mais nous ne nous en troublerons pas. Vous vous emparerez, si vous pouvez, des forts, vous réunirez la flotte napolitaine et sicilienne, vous donnerez à tous les officiers des commissions, vous leur ferez prêter serment au roi et au statut, — puis nous verrons!.. Le roi, le pays, le ministère, ont pleine confiance en vous. Suivez les instructions que je vous trace, autant que c’est possible. S’il se présente des cas imprévus, agissez au mieux pour atteindre le grand but que nous nous proposons : constituer l’Italie sans nous laisser dominer par la révolution ! » En même temps il expédiait de nouvelles forces navales, des bersagliers dont on ne devait se servir qu’à la dernière extrémité. Il prenait les moyens de n’être pas devancé au jour décisif, et c’est ainsi qu’en protégeant la plus périlleuse des entreprises dans la mesure d’un intérêt national, il restait résolu à l’empêcher de dévier, à la défendre contre les entraînemens extrêmes, pendant que d’un autre côté il mettait sa dextérité de négociateur à la couvrir devant l’Europe !


II.

Situation assurément extraordinaire, dont Cavour portait le poids sans fléchir, suffisant à tout et gardant sa liberté d’esprit ! Au milieu de ces complications croissantes, il trouvait le temps d’écrire à Mme de Circourt : « Si je me tire d’affaire cette fois, je tâcherai de m’arranger pour qu’on ne m’y reprenne plus. Je suis comme le matelot qui, au milieu des vagues soulevées par la tempête, jure et fait vœu de ne jamais plus s’exposer aux périls de la mer... » Il était pour le moment en pleine tempête, et à chaque instant il avait une fausse manœuvre à éviter, un péril à conjurer, une résolution à prendre. Je ne dis point certes que la violence et l’intrigue n’eussent leur rôle dans ces dramatiques affaires de l’Italie méridionale au mois d’août 1860. En réalité, la lutte où Cavour se trouvait engagé, qu’il était décidé à soutenir jusqu’au bout, dépassait de beaucoup la mesure de l’intrigue vulgaire ou même d’un antagonisme personnel entre deux hommes qu’un hasard ironique mettait en présence.

C’était la fortune de l’Italie nouvelle qui se trouvait en jeu dans