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reine, qu’arrivera-t-il ? Ce jour-là, nécessairement, il y aura une question brûlante, une question aiguë, la question du prince Albert.

On sait que ce jour est venu douze ou treize ans plus tard ; la reine ne craint pas d’y faire allusion dans le livre que le général Grey a écrit, pour ainsi dire, sous sa dictée. Comme elle a été de moitié dans le programme que nous citions tout à l’heure, comme elle tient autant que le prince à la dignité du maître de la maison, elle défend cette conception royale comme la seule interprétation légitime de la loi du royaume. Ne sait-elle pas que le prince, avec sa franchise, sa loyauté, son respect de tous les droits, ne causera jamais d’inquiétude sincère aux gardiens de la constitution britannique ? Ceux qui se défieront de lui auront tort ; ceux qui lui attribueront des pensées contraires à la loi, commettront une injustice. Quant à lui, toujours calme, toujours assuré de ses principes, portant toujours sur son noble visage la sérénité de sa conscience, il continuera de suivre la même voie, sans que la moindre plainte lui échappe. C’est la reine qui lui rend ce témoignage. « Jamais, dit l’historien qu’elle inspire, jamais il ne se permit, au sujet de ces attaques, le plus léger murmure, jamais il n’eut un seul mot d’impatience ou de mauvaise humeur, même contre ceux qui s’étaient montrés le plus injustes à son égard. » Et si des légistes intraitables, sans faire intervenir en tout ceci la personne du prince Albert, soutenaient d’une façon abstraite que la reine est nécessairement à la tête de sa maison comme elle est à la tête de l’état, savez-vous ce qu’elle répondrait ? C’est encore elle-même qui nous l’apprend. À l’interprétation païenne et judaïque de la loi, elle opposerait l’interprétation chrétienne. « Quand je me suis engagée devant Dieu, dirait-elle, je n’ai pas seulement juré d’aimer et d’honorer le prince mon époux, j’ai juré de lui obéir. »

C’est au milieu des fêtes, des réceptions, des concerts, au milieu des plaisirs et des splendeurs de Windsor que cette question de la position du prince marchait sans bruit vers le but proposé. Pendant cette lune de miel de 1840, la reine n’eut pas d’autre préoccupation. Elle regrettait seulement de ne pouvoir marquer aux yeux de tous, d’une façon plus précise et plus éclatante, le rang qui appartenait à son mari. Un heureux événement de famille lui en fournit bientôt l’occasion. La reine était grosse. Dès que les médecins purent annoncer cette nouvelle aux ministres, le devoir de ceux-ci fut de présenter au parlement un bill de régence pour le cas où la reine viendrait à mourir en donnant le jour à un enfant. Qu’allait-il arriver ? On avait déjà vu, à propos de la liste civile du prince comme à propos du droit de préséance, les maladresses de lord