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pas été Garibaldi, il n’aurait probablement pas débarqué à Marsala, il ne serait pas allé à Calatafimi, à Palerme, à Milazzo, à Messine, enfin à Naples : c’est possible. Cavour ne se faisait point illusion sur le « héros, » il connaissait l’homme à fond, dans ses faiblesses comme dans sa force, et toute son habileté consistait à manier cette puissante nature de chef populaire en lui laissant toutes les libertés de l’action, — sauf celle de ruiner ou de compromettre l’œuvre commune.

Le hardi et vigilant Piémontais suivait d’un regard ferme le débarqué de Marsala devenu rapidement un dictateur de la Sicile avant d’être le dictateur du royaume méridional tout entier. Il ne lui marchandait ni les secours, que Persano avec ses navires était chargé de lui prodiguer, ni les marques de sympathie. Il lui faisait dire que « le roi et son gouvernement avaient pleine confiance en lui. » Il l’envoyait complimenter presque officiellement après le combat de Milazzo au mois de juillet. « Je suis heureux, écrivait-il à Persano, de la victoire de Milazzo, qui honore les armes italiennes et prouvera à l’Europe que les Italiens sont désormais décidés à sacrifier leur vie pour reconquérir patrie et liberté. Je vous prie de porter au général Garibaldi mes sincères et chaudes félicitations. Après cette belle victoire, je ne vois pas comment on pourrait l’empêcher de passer sur le continent... La bannière nationale arborée en Sicile doit parcourir le royaume et aller flotter le long des côtes de l’Adriatique... » Oui, sans doute, il parlait ainsi et il pensait ce qu’il disait; mais en même temps il ne laissait pas de faire sentir l’aiguillon à ce victorieux. Il n’hésitait pas à réclamer impérieusement auprès du dictateur l’arrestation de Mazzini, si celui-ci se présentait sur le sol sicilien, et il ne voulait pas souffrir qu’on lui laissât à Gênes, comme représentant du nouveau gouvernement de la Sicile, M. Bertani, connu pour ses opinions républicaines. Cette intervention du mazzinisme, l’influence des esprits extrêmes sur Garibaldi, l’anarchie qui commençait en Sicile, tout cela le préoccupait. « Le gouvernement du roi n’entend pas se laisser jouer, écrivait-il... La voie que suit le général Garibaldi est pleine de dangers. Sa manière de gouverner et les conséquences qui en découlent nous discréditent devant l’Europe. Si les désordres de la Sicile devaient se reproduire à Naples, la cause italienne courrait le risque d’être traduite devant l’opinion publique, d’être l’objet d’un jugement sévère, que les grandes puissances s’empresseraient de faire exécuter. » Cavour ne réussissait pas toujours sans doute à empêcher le mal ; il voyait ses hommes de confiance, comme M. La Farina, renvoyés par le dictateur, qui prenait plaisir à se venger du ministre de Turin. Lui, qui savait si bien échapper