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toute la marine napolitaine a été incapable de le faire? Lorsque des Autrichiens et des Irlandais s’embarquent sans gêne à Trieste pour aller au secours du pape, comment le gouvernement sarde, même le sachant, pourrait-il empêcher des exilés siciliens d’aller secourir leurs propres frères en lutte contre des dominateurs? Dans toute l’Italie, la fleur de la jeunesse italienne vole sous la bannière de Garibaldi : si le gouvernement sarde cherchait à arrêter ce mouvement national, la monarchie de Savoie détruirait son propre prestige, son propre avenir, et bientôt dans la péninsule prévaudrait la république avec l’anarchie et de nouveaux troubles en Europe... Pour arrêter le torrent des idées révolutionnaires, la monarchie constitutionnelle italienne doit conserver la puissance morale qu’elle a conquise par sa résolution de rendre la nation indépendante. Aujourd’hui ce bienfaisant trésor serait perdu, si le gouvernement du roi combattait l’entreprise de Garibaldi. Le gouvernement du roi déplore cette entreprise, il ne peut l’arrêter; il ne l’aide pas, il ne peut non plus la combattre... » Et pendant ce temps, celui qu’on appelait un « flibustier » poursuivait le cours de sa prodigieuse aventure; Garibaldi devenait en quelques jours un dictateur victorieux entrant à Palerme, disposant de la Sicile, menaçant déjà le continent, réduisant le gouvernement napolitain à des concessions de libéralisme et de politique nationale, qui six mois auparavant auraient pu être efficaces, qui n’étaient plus désormais qu’une vaine tentative, la rançon inutile d’une situation plus qu’à demi perdue.

L’art de Cavour était de se servir de ces succès mêmes auprès de l’Europe, d’éviter qu’on ne passât des protestations à des actes plus décisifs, de profiter des divisions et du désarroi de toutes les politiques. Le fait est que bientôt la Russie et la Prusse ne parlaient plus de se mêler directement des affaires italiennes; elles prodiguaient les témoignages de sympathie au roi de Naples, elles se bornaient à lui promettre un « appui moral. » Tout dépendait réellement pour Cavour de ce qu’on ferait ou de ce qu’on permettrait à Londres et à Paris. A Londres, le ministère pouvait désirer l’indépendance de Naples, il n’aurait rien fait pour l’assurer ou pour la défendre. L’Angleterre était engagée jusqu’à un certain point par ce qu’elle venait de faire pour l’annexion de la Toscane et de la Romagne, par toutes ses opinions. Le jour même où Garibaldi quittait les rives de Gênes, le 5 mai, lord John Russell chargeait lord Loftus de communiquer à Vienne des préoccupations et des idées qui prouvaient que l’Angleterre prenait déjà son parti de tout. Lord John Russell disait en propres termes, d’un ton dégagé : « Si la tyrannie et l’injustice sont les traits caractéristiques du gouvernement de l’Italie méridionale, les traits du gouvernement de l’Italie septentrionale