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toujours impatient d’action, mêlant l’imprudence à la sincérité, — le général de Lamoricière, L’impétueux Lamoricière avait débuté dans son rôle de gonfalonier de l’église par un ordre du jour qui ressemblait à un défi, assimilant la révolution italienne à « l’islamisme, » identifiant la cause du pape avec la cause de l’Europe, de la civilisation. En un mot, Rome et Naples étaient devenues le double foyer d’une ardente hostilité, le centre d’une coalition dont l’Autriche était l’âme, et qui rêvait naïvement d’entraîner l’Europe dans une croisade pour la restauration de l’ordre ! Ces malheureuses cours du midi croyaient avoir à se défendre, je le veux bien. Elles ne voyaient pas dans leur trouble qu’au lieu de détourner le péril elles l’attiraient, qu’elles préparaient l’unité à leur manière, que pour une illusion compromettante elles faisaient de tous les instincts libéraux, de toutes les passions nationales, les auxiliaires du Piémonts les complices du premier mouvement qui éclaterait. L’insurrection de Sicile était un symptôme et un prélude.

Cavour n’ignorait rien; il savait qu’il y avait un plan qui pouvait avoir pour conséquence de placer à un moment donné l’Italie du nord entre les forces autrichiennes campées sur le Mincio, maîtresses des passages du Pô, et Lamoricière conduisant une armée du midi. Il avait vu ses offres déclinées, il apprenait la marche d’un corps napolitain dans les Abruzzes, — et voilà comment, sans avoir rien conseillé, sans méconnaître le danger, Cavour laissait Garibaldi s’en aller porter l’étincelle sur les élémens incandescens du midi! Non-seulement Cavour n’empêchait pas Garibaldi de partir, — il le couvrait, c’est bien certain, d’une protection qui s’étendait et grandissait dans la mesure des succès de l’expédition. Le président du conseil, qui avait eu le soin de se faire en même temps ministre de la marine, avait dans la Méditerranée un commandant d’escadre, l’heureux alors et depuis malheureux Persano, qui comprenait à demi-mot, — ho capito ! — qui jouait son rôle, aidant aux ravitaillemens et couvrant le passage de nouveaux convois de volontaires avec Medici et Cozenz. Cavour en faisait assez pour ne pas rompre avec un chef populaire que l’Italie suivait de ses vœux passionnés ; il ne voulait d’un autre côté ni tout livrer à un héros d’aventure, ni se compromettre devant l’Europe par un appui trop ostensible, par une complicité avouée. De là une politique mêlée d’audace et de ruse, dont personne n’avait le dernier mot, qui était la rançon d’une situation compliquée et violente. Ce n’était plus sans doute l’homme déroulant à grands traits dans un parlement le programme national et libéral, préparant l’alliance de Crimée, défendant la cause italienne au sein d’un congrès, ou combinant une guerre régulière comme celle qui venait de finir. C’était un politique