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Cavour de son côté n’avait pas encouragé l’expédition. Sans soupçonner la sincérité de Garibaldi, il craignait ses emportemens et il se défiait encore plus de ceux qui en l’entourant, en l’entraînant, espéraient se servir de sa popularité. Une fois la campagne engagée cependant, il n’avait plus qu’une idée : se tenir prêt à tout, jouer à sa manière cette terrible partie où l’œuvre qu’il avait conduite jusqu’à Bologne pouvait recevoir d’un seul coup un complément inespéré, — où elle pouvait aussi sombrer brusquement.

Ce serait une naïveté singulière aujourd’hui de se demander si Cavour était un ministre d’une irréprochable orthodoxie, s’il violait ou s’il ne violait pas le droit public. Il jouait sa partie en homme qui n’aimait pas à perdre. Au fond, cette question de l’Italie méridionale qui naissait ainsi dans une aventure, il n’avait rien fait pour en précipiter l’explosion, il ne l’avait même pas appelée de ses vœux. Sa politique n’était pas tournée de ce côté; il aurait désiré plutôt nouer ce qu’il appelait « l’alliance des deux grands royaumes de la péninsule, » former le faisceau fédératif des forces italiennes du nord et du midi dans un intérêt d’avenir national. Une année auparavant, à la mort du roi Ferdinand et à l’avènement du jeune François II, fils d’une princesse de Savoie, Cavour avait saisi cette occasion pour envoyer à Naples le comte de Salmour avec une mission de paix. C’était une offre d’amitié et d’appui à un règne naissant. Aux premiers jours de 1860, le cabinet de Turin venait encore de renouveler cette tentative en envoyant à Naples l’ancien ambassadeur à Paris, M. de Villamarina, chargé d’éclaircir la situation. Avec Rome comme avec Naples, Cavour se serait prêté volontiers aux ménagemens et aux transactions. Malheureusement l’esprit de vertige emportait ces gouvernemens du midi, livrés à des préventions aveugles, à des passions irréconciliables.

A Naples, l’infortuné François II, sourd aux appels du « Piémont révolutionnaire » aussi bien qu’aux conseils de la France et de l’Angleterre, enveloppé d’intrigues de cour, d’influences autrichiennes et absolutistes, pliait sous le poids d’un règne compromis en quelques mois par une politique de réaction violente et puérile. A Rome, toutes les fantaisies belliqueuses s’agitaient pour reconquérir la Romagne. On avait décidé la formation d’une armée dans la prévision du départ de la garnison française, qui semblait alors prochain, et que les événemens allaient ajourner indéfiniment. On ne parlait que de recruter des soldats, zouaves de l’élite catholique et légitimiste de France, Belges, Autrichiens déguisés. Irlandais indisciplinés, — et une fortune ingrate destinait au commandement de cette armée des « saintes clés » un de nos plus brillans capitaines, condamné par le 2 décembre à une retraite prématurée,