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pour la mode étrangère, le goût étranger, le travail étranger. On pouvait dire d’elle ce que Schiller a dit de la littérature allemande au dernier siècle, qu’elle était « sans protection, inconnue. » Elle s’appliquait honnêtement à produire le nécessaire à bon marché. Elle s’est élevée tout d’un coup et son essor a été magnifique, quand l’Allemagne, grâce à l’organisation du Zollverein, a pris pleine connaissance de ses forces économiques, et que le développement des relations commerciales lui a ouvert le marché du monde. C’est alors que le paysan et l’ouvrier sentirent s’améliorer leur condition misérable, que la consommation et la production s’accrurent ensemble, et que des mains laborieuses s’empressèrent de toutes parts vers des occupations utiles et nouvelles. La nature a donné à l’Allemagne tout ce qui est nécessaire au développement de l’industrie, et d’abord ces matières nécessaires et vivifiantes, le charbon et le fer, qu’elle possède en plus grande abondance qu’aucun autre état de l’Europe, l’Angleterre seule exceptée. Nulle part on ne s’entend mieux que chez nos voisins à fabriquer, dans des usines qui sont de véritables laboratoires scientifiques, toutes ces substances diverses, acides ou sels, qui tous les jours rendent de plus grands services à l’industrie. La matière première ne manque pas non plus à l’industrie textile : 30 millions de moutons qui paissent dans les bruyères de Lunebourg, sur les polders du Holstein, dans les plaines du Mecklembourg, dans les pâturages élevés du Brunswick, de l’Anhalt, de la Saxe, de la Silésie, dans les provinces de Poméranie et de Prusse, fournissent en abondance une laine d’excellente qualité, car la plus grande partie sont de race mérinos. L’industrie du lin et du chanvre compte parmi les plus vieilles de l’Allemagne, qui se glorifie d’avoir inventé le rouet de Marguerite : les lins de Memel et de Marienbourg sont estimés dans le monde entier, et ces produits figurent pour une somme notable au tableau des exportations allemandes. Cette incomplète énumération suffit pour rappeler que l’Allemagne n’est point le pauvre pays que s’imaginent trop de Français.

Pour mettre en œuvre ces richesses, elle a une population dont le progrès, qui ne s’arrête pas, n’est plus atténué par l’émigration, qui diminue constamment. Cette population tenace, laborieuse, patiente, sait vivre de peu. Elle est aujourd’hui en partie égarée par les doctrines socialistes, et la puissance de ces utopies sera peut-être assez grande pour entraver longtemps encore le travail allemand ; mais il est certain que l’utopie cédera un jour devant la force des choses. La solution de la question sociale ne peut être que la participation plus grande des classes laborieuses aux fruits du commun travail ; or cette participation s’accroît tous les jours.