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n’en est plus à craindre pour son existence. Si le marché du travail a meilleure apparence, le marché d’argent est encore et demeurera longtemps embarrassé ; les effets de la folie d’un moment y durent encore, mais la folie elle-même a cessé. Il y a encore à Berlin nombre de joueurs sans scrupule : ne s’en trouve-t-il qu’à Berlin ? Et quel pays se peut vanter de n’avoir point enduré des scandales pareils à ceux dont on vient de faire l’histoire, sinon pires ? Mais on trouverait difficilement aujourd’hui, dans toute l’Allemagne, de ces dupes qui naguère y foisonnaient. On y sait maintenant qu’il faut être modéré dans ses désirs, que la société Vulcain ou toute autre de même nature ne donnera pas de dividende, si elle n’est bien gérée, que les plus belles victoires du monde ne peuvent faire d’une cheminée qui s’écroule un établissement métallurgique, qu’il ne saurait y avoir de grand hôtel et de restaurans dorés sans voyageurs riches, qu’on peut avoir un empereur et faire faillite, les poches pleines d’actions de la rue Impériale, que les colonies de villas se plaisent sur les collines riantes et vertes baignées par la Seine, et d’où l’on domine la plus belle et l’une des plus riches villes du monde, non sur de petits tas de sable d’où l’on suit le cours bourbeux de la Sprée, qu’en un mot, pour avoir Paris et les environs de Paris, il faut Paris et ses environs.

Un excès de défiance a même succédé à la crédulité d’autrefois, et l’on ne comprend guère l’extrême abattement où sont tombés tant d’esprits en Allemagne, ni l’exagération des plaintes qu’on y a entendues. Les Prussiens gémissent sous le poids des impôts, comme s’ils en étaient écrasés. Or la Prusse, ce royaume de 25 millions d’habitans, dont la superficie égale les deux tiers de celle de la France, n’a qu’une dette nominale, dont l’intérêt annuel est plus que couvert par les revenus des chemins de fer, des mines et autres propriétés de l’état. Son budget, y compris la contribution aux dépenses de l’empire, n’atteint pas 1 milliard ; qu’est-ce auprès du nôtre ? Un Prussien paie moitié moins d’impôts qu’un Français, et notre sol n’est pas deux fois plus riche, notre industrie n’est pas deux fois plus active que celle de la Prusse, dont quelques provinces n’ont rien à envier aux nôtres.

Ne regardons point tant la crise accidentelle qui vient de finir, si nous voulons bien mesurer les forces de nos rivaux. Regardons aussi le passé, pour n’être point surpris par l’avenir. L’industrie allemande a fait, dans le cours de ce siècle, des progrès énormes. Au temps du morcellement politique, sous le régime économique de la protection, cette industrie vivait d’efforts isolés dans les villes. Elle était toute bourgeoise, uniquement occupée à satisfaire aux besoins de la bourgeoisie, car le beau monde des cours la dédaignait