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que chaque chambre de nos maisons eût sa glace, sa cheminée de marbre, sa pendule de bronze, et le campagnard poméranien ou mecklembourgeois admirer l’aisance qu’il trouvait au foyer de nos paysans. Comment n’eût-il pas cru, au bruit que faisaient les manieurs d’argent, que, la roue de la fortune ayant tom-né, c’était à lui désormais d’être heureux et riche ? Le plus petit bénéfice fait par ces spéculateurs novices leur devenait fatal, et contribuait à répandre la contagion. Bien des sacoches de cuir, tirées du fond de quelque armoire où elles étaient ensevelies, se sont vidées dans l’escarcelle des pourvoyeurs de la bourse. Ces pauvres gens font penser aux paysans de la Forêt-Noire que le poète a vus dans les salons de la maison de conversation, à Bade,

Debout, sous la lampe enfumée,
Avec leur veste rouge et leurs souliers boueux,
Tournant leurs grands chapeaux entre leurs doigts calleux.
Poser sous les rateaux la sueur d’une année !
Et là, muets d’horreur devant la destinée,
Suivre des yeux leur pain qui courait devant eux. »


On a, au nom de la morale publique, supprimé la roulette en Allemagne ; mais l’Allemagne entière a été, plusieurs années durant, une grande maison de jeu où l’on ne gagnait jamais :

Dirai-je qu’ils perdaient ? Hélas ! ce n’était guères !
C’était bien vite fait de leur vider les mains !

Le pire, c’est que ce ne sont pas les seuls joueurs qui ont perdu. L’Allemagne compte une quantité d’employés, serviteurs pauvres et laborieux de l’état, et de pensionnés qui n’ont guère pour vivre que leur pension. À aucun moment ceux-ci n’ont profité de la crise ; ils n’ont pu, comme l’ouvrier, compenser par l’élévation des salaires renchérissement de toutes choses. L’augmentation subite du prix des logemens et des substances absolument nécessaires à la vie les a surpris, et, de la gêne où ils étaient, précipités presque dans la misère. Il ne fallait pas chercher à se consoler, même avec « le verre de bière » que l’on buvait le soir à la brasserie. Avant 1870, on avait en Allemagne, à très bon marché, d’excellente bière : la consommation allait en croissant, et les brasseurs n’y pouvaient suffire. Les entrepreneurs de sociétés par actions se sont mis de la partie, pour le plus grand malheur de cette industrie. Les brasseries par actions, écrasées par un capital exagéré, par les frais énormes de la construction et de l’installation, ont fabriqué une boisson chère qui ne valait plus l’ancienne. Il y eut de véritables émeutes causées par l’augmentation des prix : les prix furent abaissés, mais les verres