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eût été mal venu à prétendre contrôler le travail et réprimander le travailleur : cela était bon pour d’autres temps et d’autres mœurs. Tout sentiment de l’honneur professionnel avait disparu.

Parmi les corps de métiers qui se sont le plus distingués dans cette période, il faut citer les maçons de Berlin. Ceux-ci exigèrent un salaire double et l’obtinrent, puis une réduction de moitié dans la durée du travail, ce qui équivalait à quadrupler le prix de leur travail : on la leur accorda au moment où le prix des matériaux de construction doublait à son tour. Les entrepreneurs supportèrent naturellement ces excès, tant qu’ils purent faire accepter aux propriétaires l’élévation croissante de leurs prétentions : après, il en fallut rabattre. Alors éclatèrent des grèves ; mais la grève tourne toujours contre l’ouvrier, quand celui-ci a poussé le patron jusqu’au point où toute concession nouvelle aurait pour conséquence immédiate la ruine. De nombreux chantiers furent licenciés. Des ouvriers furent appelés du dehors : il en vint même de France, dont le travail fut très apprécié. Nos compatriotes mettaient une sorte d’amour-propre national à travailler bien et vite. J’en ai vu quelques-uns à l’œuvre à Berlin en 1874. Mon attention avait été attirée dans une rue par une conversation française qui partait d’un chantier de tailleurs de pierres. J’entrai, me sentant un peu chez moi. « Vous êtes Français ? demandai-je à l’un des travailleurs. — Oui, monsieur, à votre service. — Que diantre faites-vous ici ? Seriez-vous exilés ? — Pas du tout ; on est venu nous embaucher en France, et nous voilà ! » Puis mon interlocuteur me conta que ses camarades et lui travaillaient mieux que ces fainéans de Berlin, et qu’ils rapporteraient un boursicot. « Pourtant, disait-il, nous ne nous privons de rien ; nous mangeons bien et nous buvons du vin : ça fait rager les autres. »

Même aujourd’hui que les salaires sont redescendus à un niveau raisonnable, le préjudice porté à l’industrie du bâtiment dans toutes les grandes villes, et surtout à Berlin, n’est pas près de s’arrêter. « Quand le bâtiment ne va pas, rien ne va ; » l’industrie du mobilier, déjà compromise par les exigences de ses propres ouvriers, a été atteinte par le contre-coup de la crise du bâtiment : elle a été ruinée. Berlin jadis fabriquait le meuble avec moins de goût que Paris, mais plus solidement et à meilleur marché : Paris a gardé la supériorité de son goût ; il vend aujourd’hui des meubles aussi solides et moins cher, si bien que depuis trois années Berlin, en grande partie, s’approvisionne de meubles à Paris. L’organisation socialiste a fait naturellement que les mêmes abus se sont reproduits dans toutes les industries, en particulier dans l’industrie minière et métallurgique, au sort de laquelle tant d’autres