Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/388

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Avant 1870, le loyer représentait déjà dans le budget domestique un sixième du revenu. En 1872 et en 1873, grâce aux augmentations qui se renouvelaient de trimestre en trimestre, le loyer eût pris le tiers du revenu d’une famille aisée, si elle ne s’était point décidée à choisir quelque appartement plus modeste. Les logemens de 2,000 à 5,000 thaler, autrefois très rares, abondèrent. Tout ce qui était ouvrier, petit commerçant, petit rentier, employé, dut quitter les quartiers du centre. Les hommes de profession libérale émigrèrent aussi ; dans le tranquille quartier qu’on appelait autrefois quartier des « conseillers intimes, » le conseiller intime s’est fait très rare ; l’érudit, l’artiste ou l’écrivain ne se rencontre presque plus dans le West-End, près de la Porte de Potsdam, où il habitait. S’il ne s’est point transporté au faubourg, il a dû céder au moins à plus riche que lui le premier étage, qu’on appelle en allemand die Beletage. Quant aux pauvres, comme les plébéiens de l’ancienne Rome, ils quittèrent une ville où ils n’avaient plus de place, et, à défaut du Mont-Sacré, plantèrent sur un terrain sablonneux, hors des portes, cette ville de Barackia, faite de haillons, de poutres vieillies, de wagons à la réforme. Ce n’est pas sans orgueil que les feuilles locales signalaient à l’attention des étrangers cette colonie poudreuse : Berlin devenu trop petit, n’était-ce pas le signe des temps nouveaux ? On allait d’ailleurs remédier au mal, et très vite, car un statisticien a calculé qu’en mettant à exécution quelques-uns des projets des sociétés et banques susnommées, on bâtirait une ville pour 9 millions d’habitans, trois fois plus grande que Londres.

Or la plus grande partie de ces sociétés et banques ne bâtit rien et n’eut jamais dessein de rien bâtir. On faisait des plans de construction, on traçait des routes, des quartiers, on marquait la place des marchés. Puis, pour attirer le chaland, on offrait à bon compte l’emplacement et l’argent pour aider à l’entreprise, car la société de constructions était le plus souvent en même temps une banque de constructions ; mais les chalands ne se présentèrent guère, et ceux qui furent assez osés pour le faire n’y trouvèrent pas leur compte. Cependant les actions se plaçaient : l’actionnaire recevait de si beaux dividendes, pris naturellement sur le capital même ! Cette comédie ne pouvait durer : l’acheteur ne venant pas, la faillite est venue. Pour ne citer que quelques exemples, la Banque centrale donne, une année, Zi3 pour 100 de dividende ; ses actions sont à 420 : elles sont aujourd’hui à 25 ; l’Ost-End a donné 11 pour 100, est monté à 120, redescendu à 12 ; le Landerwerbund Bau-verein a donné 40 pour 100, est monté à 200, redescendu à 15 ; le West-End a donné 15 pour 100, est monté à 125, redescendu à 1 ; le