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prix normal s’impose à nouveau, la différence se réduit à une perte nette. Ce n’est pas tout : la panique égare toutes les têtes. Après avoir spéculé sur les brouillards de la lune, sans hésiter, on entre en défiance contre les affaires les plus sûres. La fureur de la baisse, succédant à la fureur de la hausse, fait qu’on dépasse le prix, en descendant, comme on l’a dépassé en montant. Petit à petit, l’équilibre se rétablit enfin, et l’on est ramené au point de départ : quelques hommes se sont enrichis et ont gardé leurs richesses ; un plus grand nombre les ont dissipées en mauvaises entreprises ou en luxe ruineux et improductif ; tous ont laissé, chemin faisant, quelque vertu, l’estime d’eux-mêmes et des autres, la régularité de la vie, l’amour du travail honnête et tranquille. Un grand désordre social survit à l’orgie financière.

C’est avant la guerre qu’a commencé en Allemagne le mal dont on vient de décrire la cause et les effets. À la vérité, le pays était prospère en 1869. Les événemens de 1866 avaient porté leurs fruits. On se constituait à l’état de grande nation. La vivacité du mécontentement chez les princes dépossédés et chez leurs fidèles n’empêchait pas que l’opinion publique ne fût très satisfaite. Cette heureuse disposition, pénétrant tous les esprits, y mettait cette sorte de bonne humeur qui stimule tout à la fois à travailler et à jouir de son travail. Les craintes d’une guerre avec la France, qui avaient été vives après Sadowa et au temps de l’affaire du Luxembourg, s’apaisaient notablement. On était donc assez près de cet état parfait où la consommation et la production, marchant de pair, croissent ensemble. Les forces disponibles en travail et en argent trouvaient un emploi assuré, sans être surexcitées par un succès extraordinaire, ni troublées par la crainte d’un péril prochain. L’équilibre entre la production et la consommation se manifestait par le prix normal de chaque chose, par le rapport raisonnable de la rente au capital, du salaire au travail. C’était, comme a fort bien dit M. OEchselhaüser, un de ces momens qui ne font guère parler d’eux, comme les bonnes femmes de ménage, et dont on apprécie seulement la valeur quand ils ne sont plus. Pourtant le germe du mal était dans cette situation prospère ; la confiance menait à l’audace ; il suffisait qu’un mauvais exemple fût donné pour qu’il entraînât nombre d’hésitans.

Personne n’a plus contribué à donner ce mauvais exemple que le docteur Strousberg. Les lecteurs de la Revue connaissent ce personnage extraordinaire, dont le portrait a été fait ici même de façon à ôter l’envie de le recommencer[1]. On ne peut douter qu’il

  1. Voyez la Revue du 1er novembre.