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quelquefois sous la forme de l’anthropophagie, de la manie blasphématoire, de la dipsomanie. Une dame, citée par M. Trélat, était prise de temps en temps d’accès de dipsomanie que rien ne pouvait empêcher, ni l’intérêt, ni le devoir, ni sa famille, qu’elle finit par ruiner. Quand elle sentait venir son accès, elle mettait dans le vin qu’elle buvait les substances les plus dégoûtantes, rien n’y faisait. En même temps, elle se disait des injures : « Bois donc, misérable, bois, vilaine femme, qui oublies tes premiers devoirs et déshonores ta famille! » La passion était plus forte que les reproches et le dégoût.

Dans ces exemples, il faut l’avouer, nous ne trouvons plus trace d’un trouble intellectuel. Il semble bien qu’il n’y ait autre chose qu’une exaltation morbide d’une passion mauvaise, ce qui justifierait, au moins pour ces cas particuliers, la théorie de M. Despine. Pourtant il est plus naturel d’y voir encore une perversion des sens, due à un état pathologique des organes. Il est possible, par exemple, que chez certains malades, la couleur, l’odeur, la chaleur du sang, produisent une sorte d’exécrable volupté que l’homme sain ne peut ressentir. M. Maudsley cite un clerc d’avoué qui un jour, sans aucun motif, assassine dans la campagne une petite fille de huit ans et découpe son corps en morceaux. Il rentre à l’étude de son patron, reprend tranquillement son ouvrage, et sur un cahier où il avait l’habitude de consigner ses actions, il écrit : « Tué une petite fille ; c’était bon et chaud. » — Il nous semble qu’ici l’impression produite par la chaleur des chairs a été dominante. L’organe du tact, perverti, a peut-être inspiré le besoin de cette horrible sensation et déterminé le meurtre. — La servante dont tout à l’heure nous rappelions l’histoire était sans doute sous l’empire d’une fascination de la vue et du toucher, quand la blancheur de l’enfant confié à ses soins lui donnait l’envie irrésistible de l’éventrer. Il est clair d’autre part que chez la dame citée par M. Trélat l’organe du goût n’était pas sain, puisque les matières les plus dégoûtantes, mêlées à sa boisson, ne lui répugnaient pas. — En un mot, nous proposerions d’expliquer, au moins partiellement, les cas précédemment rapportés et autres semblables par une altération des organes des sens et des centres qui président à leurs fonctions. C’est une hypothèse que nous ne hasardons, bien entendu, qu’avec la plus grande réserve et que nous prenons la liberté de soumettre à l’appréciation des juges compétens.

Nous n’insisterons pas sur les deux autres classes d’aliénations mentales que reconnaît M. Despine, et qui sont constituées, l’une par l’état maniaque, l’autre par la démence, la stupidité, l’idiotie. Dans ces manifestations qui marquent généralement les phases