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Nous croyons donc que M. Despine est allé trop loin en affirmant que, dans la folie, les facultés intellectuelles peuvent demeurer intactes et continuer à fonctionner régulièrement. En principe, il est inadmissible qu’une intime solidarité n’existe pas entre les différens pouvoirs de l’âme : si les facultés instinctives sont perverties par quelque cause pathologique, la même influence doit pervertir simultanément les facultés intellectuelles. En fait, la plupart des exemples que l’on cite peuvent recevoir une interprétation qui soit d’accord avec notre manière de voir.


III.

Nous serons plus bref dans l’examen des autres variétés de la folie. Aussi bien est-il fort difficile d’établir entre elles des distinctions nettement marquées; elles se relient, se confondent presque par des transitions insensibles, et les observations qui valent pour l’une sont plus ou moins applicables à toutes les autres.

Une seconde forme de la folie instinctive est celle qu’Esquirol appelle lésion des affections. Ici plus d’idée délirante; une passion pervertie se manifeste toute seule et pousse parfois le malade aux actes les plus immoraux, les plus criminels. Cette passion, en elle-même, peut n’être pas très forte; mais rien dans l’esprit de l’aliéné ne lui faisant obstacle, elle devient naturellement et nécessairement toute-puissante.

Les passions qui poussent alors aux actes les plus pervers ne doivent pas être confondues avec celles qui peuvent entraîner l’homme en santé à des actes analogues. Celui-ci, par exemple, tue par haine, par vengeance, par cupidité, par jalousie, etc.; aucun de ces motifs n’existe pour le malheureux atteint de la folie homicide : il tue pour tuer. Sa passion, vraiment anormale et pathologique, est de celles qui ne se rencontrent que chez l’homme malade; elle a pour objet l’acte pervers lui-même : le meurtre, le suicide, l’incendie, le vol.

La folie homicide et la folie suicide sont les manifestations les plus fréquentes de ce genre d’aliénation; quelquefois chez le même malade, la première succède à la seconde : ce fut le cas d’Henriette Cornier, dont le crime émut vivement l’opinion publique vers 1826. D’un caractère sombre et mélancolique, elle tenta un jour de se précipiter dans la Seine : on l’en empêcha. Elle ne put donner aucun motif pour expliquer cette tentative : preuve qu’elle obéissait, non à l’une des passions ordinaires de l’humanité, mais à un besoin morbide, pathologique, de se détruire. Un jour l’envie la prend de tuer une petite fille; elle prie ses voisins de leur confier leur enfant