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hommes avec une égale clarté, si bien souvent le défaut d’éducation, les mauvais exemples ou la violence des instincts inférieurs empêchent cette idée sublime de resplendir de tout son éclat [illisible] la conscience, il ne s’ensuit pas que, chez l’homme moralement sain, elle soit jamais complètement absente; le libre arbitre n’est donc pas, comme le prétend M. Despine, une sorte d’exception dans l’humanité, un privilège du petit nombre, dont ceux-là même qui le possèdent font rarement usage.

Quoi qu’il en soit de ces critiques, ce qui nous intéresse surtout ici, c’est de suivre M. Despine dans les applications qu’il fait de sa doctrine psychologique à la définition de la folie. « La folie, dit-il, consiste dans l’aveuglement moral involontaire de l’esprit à l’égard d’idées fausses, absurdes, immorales, irrationnelles et de penchans bizarres, pervers, inspirés par des passions; aveuglement causé par l’absence des sentimens rationnels, seuls capables d’éclairer l’esprit sur la nature de ces idées et de ces penchans, c’est-à-dire par l’inconscience morale à leur égard. »

Deux conditions, par conséquent, sont nécessaires à l’existence de la folie : il faut d’abord une ou plusieurs idées irrationnelles, absurdes, fausses, immorales, ou bien des penchans, des désirs exagérés, bizarres, pervers, idées et penchans inspirés par des passions. Mais ce n’est là que l’objet de la folie, ce n’est pas la folie elle-même; ce qui la constitue essentiellement, c’est l’aveuglement involontaire de l’esprit qui l’empêche de comprendre ce que ces idées ou ces passions ont de bizarre, d’absurde, d’immoral, et cet aveuglement vient de la violence des passions qui possèdent l’esprit et étouffent ou détruisent les sentimens antagonistes qui pourraient l’éclairer.

Il s’ensuit que la folie est non pas proprement une maladie des organes, mais un état anormal de l’âme. Il se peut que la folie existe sans aucun signe pathologique appréciable à l’observation du médecin, sans aucune lésion du cerveau. L’homme en santé peut donc être fou, et c’est là un des points sur lesquels M. Despine revient avec le plus d’insistance. Néanmoins il est impossible que l’état de l’âme qui constitue la folie n’ait pas sa cause dans quelque disposition physiologique; le cerveau est certainement l’organe par lequel se manifestent les facultés, et quand une passion pervertie s’empare de l’esprit au point d’étouffer les inspirations de la raison, on doit voir dans cette exaltation l’effet d’une activité anormale de la substance cérébrale. Des découvertes récentes semblent établir que la paralysie ou l’excitation des nerfs vaso-moteurs de l’encéphale joue ici un grand rôle. On sait que les vaisseaux capillaires qui portent le sang dans toutes les parties du corps se contractent ou se dilatent