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la pudeur, le sentiment du beau, le sentiment du bien et du mal ou sens moral, le sentiment religieux, composé très complexe des sentimens de causalité, de vénération, de reconnaissance, d’espérance et de crainte. A côté des tendances bonnes et raisonnables qui méritent vraiment d’être appelées morales, il y a des penchans pervers, irrationnels, qui sont également innés : tels sont la jalousie, la haine, la vengeance, l’orgueil, la méchanceté, la malhonnêteté, le mépris, l’ingratitude, l’avarice, la cupidité, la convoitise, etc. Ces mauvais sentimens s’unissent pour former des sentimens mauvais plus complexes, et, conjointement avec les bons, ils constituent la nature instinctive, bonne ou mauvaise, de chaque individu.

Les élémens instinctifs, bons ou mauvais, de l’esprit, se manifestent par des impulsions, des désirs, qui déterminent la plupart de nos actions; mais, le plus souvent, ils se bornent à éveiller des idées dans l’esprit, à suggérer des connaissances, et leur rôle est alors purement spéculatif. Cela est surtout vrai pour le sentiment du devoir, que M. Despine appelle une émanation du sens moral, et qu’il considère comme un pur instinct.

Les motifs d’action que font naître les facultés instinctives se ramènent à deux : l’intérêt et le devoir. Quand deux désirs sont en présence et que le principe de l’obligation morale n’intervient pas, le désir le plus fort l’emporte nécessairement. C’est là une loi de dynamique mentale sans exception, car le désir le plus fort exprime pour l’individu le plus grand bien, et il est impossible que l’impulsion naturelle nous détourne du bien le plus grand, pour nous porter vers un bien moindre ou vers le mal. Sous l’empire des seuls désirs, l’homme n’obéit donc et ne peut obéir qu’au motif de l’intérêt. L’homme, en cela, ne diffère pas de l’animal.

Quand le sens moral se manifeste sous la forme inférieure d’un désir, d’un besoin du cœur, la loi précédente trouve encore son application. Si je ne fais le bien que parce que c’est un plaisir pour moi de le faire et une peine de ne le faire pas, je cède à un désir plus fort que les désirs antagonistes; je ne cherche en définitive qu’une satisfaction égoïste : c’est toujours le motif de l’intérêt. Il en est tout autrement quand le sens moral revêt cette forme supérieure que M. Despine appelle le sentiment du devoir. Je conçois alors, sous l’influence de ce sentiment, l’obligation absolue d’agir d’une certaine manière, de m’abstenir de certains actes. Dût ma sensibilité tout entière être froissée, le devoir qui commande crée en moi la possibilité d’une résistance; la loi de l’intérêt cesse d’être la règle unique de ma conduite, je puis vouloir et faire autre chose que ce que veut et exige le désir le plus fort. Un motif nouveau a surgi; alors aussi, mais alors seulement, je suis vraiment libre.