Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/357

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa vie garde dans son cœur l’image de Dieu, n’a pas à redouter que sa raison lui échappe. L’angoisse, l’exaltation, la fureur, qui caractérisent certaines formes de la folie, ce sont autant de manifestations désordonnées du remords. L’aliénation mentale n’est pas et ne peut être héréditaire, car le moi pensant, l’âme immatérielle, n’est pas héréditaire. Ce que les parens peuvent transmettre à leurs enfans, ce sont des dispositions organiques contre lesquelles il est toujours possible de réagir. L’homme possède une force morale, invincible par essence à toutes les impulsions du physique, et s’il succombe dans la lutte, la responsabilité de la défaite lui appartient tout entière.

De la part d’un médecin, une pareille théorie a de quoi surprendre. Outre qu’on ne peut nier l’hérédité de la folie sans se mettre en contradiction flagrante avec les faits, n’est-il pas monstrueux de ne voir dans les fous que des coupables? N’est-ce pas déclarer inutile la tâche du médecin, autoriser toutes les rigueurs envers ces malheureux et rétrograder, au nom de la science, jusqu’à l’ignorante barbarie du moyen âge? Que l’homme ait, dans une certaine mesure, le pouvoir de combattre des prédispositions encore peu marquées à la folie, qu’il puisse, par une hygiène morale bien entendue et fermement pratiquée, se soustraire à quelques-unes des causes qui parfois déterminent l’explosion du mal, l’observation des faits nous permettra tout à l’heure de l’affirmer ; mais il n’est aussi que trop vrai que dans un grand nombre de cas nulle force morale n’est capable de conjurer la tempête qui se déchaîne tout à coup à travers le cerveau, et il est aussi peu scientifique que peu charitable de faire peser une responsabilité quelconque sur les tristes victimes d’un organisme en délire.

Ce qui fait défaut à la plupart des médecins aliénistes, sans en excepter l’illustre Esquirol, c’est une doctrine psychologique. Bien peu se sont demandé ce qu’il faut entendre par facultés de l’âme, quel en est le nombre, quel est le rôle de chacune d’elles dans le développement de la vie psychique. Les mots raison, sentimens, affections, volonté, libre arbitre, sont pris dans l’acception vague et flottante que leur donne le vulgaire; nulle définition, partant nulle exactitude scientifique. D’autre part, les psychologues, tout absorbés dans l’analyse de leur propre moi, ont rarement jeté les yeux au dehors; ils n’ont pu concevoir autre chose que le fonctionnement normal des facultés qu’ils découvraient en eux-mêmes, ils ont cru tous les hommes taillés sur le même patron psychologique, et par là se sont trouvés dans l’impuissance d’expliquer la folie. Ne pouvant l’expliquer, ils en ont négligé l’étude. Et pourtant une bonne théorie de la folie est la contre-épreuve indispensable