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de cette aimable couleur aurore qui fait plaisir à voir, comme les premières rougeurs sur les joues d’une fille de quinze ans. Nous avons quitté le village, emportant dans nos sacs de quoi déjeuner, et nous étonnant de voir la route encore déserte. Nul n’est prophète en son pays; aux Islettes, on nous avait semblé tiède à l’égard de saint Rouin; à Futeau, la population est positivement indifférente. A l’endroit où s’embranche le chemin de Bellefontaine, nous avons vu passer deux ou trois paysannes et autant d’enfans. Peu après, une voiture de maître nous a frôlés au passage : sur les coussins, en face de deux dames ensommeillées, se dandinait un abbé pimpant et satisfait, ayant à ses côtés un jeune garçon dont il est sans doute le précepteur. Un peu plus loin, nous avons rencontré un char à bancs plein de bottes de paille et de bourgeoises endimanchées, et c’est tout.

— Il me semble que la forêt ne donne pas, remarque Everard, est-ce que ce pèlerinage serait un four?

— La plaine est plus fervente, répond Tristan; vous verrez tout à l’heure les gens de Brizeaux, de Passavant et de Waly arriver en procession.

Si le défilé des pèlerins manque de couleur, en revanche, la route qui conduit au pèlerinage tient toutes ses promesses. Les tranchées latérales nous découvrent de jolis dessous de bois : — ravins fuyans, mares ombreuses, clairières ensoleillées où des écureuils gambadent d’arbre en arbre. A un détour, les massifs s’écartent et la surface unie et bleue d’un étang apparaît dans la profondeur du bois, avec son encadrement de joncs, de bouleaux et de sorbiers. Une hutte de chasseur aux canards effondre sur le bord son toit de chaume en ruine, un bateau est à demi enfoncé dans la vase; de temps en temps un bouillonnement monte entre les joncs, une poule d’eau émerge à la surface, tourne à droite et à gauche son cou fin et sa tête inquiète, puis replonge au fond de l’étang. — Pendant que nous sommes en contemplation devant cette nappe d’eau solitaire, une cloche au son grêle résonne dans l’air matinal. — C’est la messe des pèlerins, s’écrie Tristan, nous arriverons en retard!

En effet, en débouchant dans la prairie plantée de pommiers où se trouve l’ermitage, nous avons entendu bourdonner les voix des chantres. La chapelle s’élève au bout du pré, presque à la lisière du bois; c’est une bâtisse modeste, surmontée d’un clocheton en auvent où se balance la cloche, et flanquée d’une maisonnette qui sert de sacristie. En avant, un réservoir bordé d’une margelle de pierre reçoit les eaux de la source miraculeuse et sert de piscine à l’usage des fidèles. — Dans l’allée qui conduit à la chapelle, des voitures de toute forme et de toute provenance : coupés de maître, cabriolets de louage, charrettes de paysan font comme un rempart