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bois qui descendent sur la chaussée. Toute la population de Futeau vit de la forêt, et rien que de la forêt. Les hommes sont bûcherons, brioleurs, scieurs de long ou brintiers (c’est le nom qu’on donne aux fabricans de manches de fouet, faits avec des brins de houx, de néflier sauvage et d’aubépine). Les femmes vont en hiver ramasser le bois mort, les épines, les genêts, la fougère; elles les brûlent et en vendent la cendre aux ménagères des petites villes voisines. En été, dans la saison des fraises et des framboises, elles forment toutes une association : dix ou douze, des plus adroites et des plus accortes, se transportent pour six semaines à Châlons-sur-Marne; les autres vont cueillir les fraises dans la forêt, et chaque soir une voiture conduit à la ville La récolte du jour pour y être vendue au profit de l’association.

Toutes ces petites industries ne constituent pas précisément une fortune; aussi, pendant les hivers rudes, un tiers de la population va mendier aux environs. Lors de la disette de 1847, une bonne moitié du conseil municipal était inscrite sur la liste des indigens. Avant 1849, il n’y avait à Futeau ni église ni maison d’école. Aujourd’hui, grâce aux allocations du département et au zèle du curé, il y a au centre du village une école bien aménagée et une élégante petite église. A deux pas de l’église, dont il est. séparé par un jardinet, s’élève le presbytère, si propret, si avenant et si bien enfoui dans la verdure qu’on porte envie au curé qui l’habite.

Comme nous entrions dans Futeau, un garçon qui débouchait des prés, la faux sur l’épaule, nous a rejoints, et nous avons lié connaissance. Quand nous sommes arrivés en face de l’église, Tristan, à la vue du coquet presbytère, n’a pu retenir son enthousiasme. — Voilà où je voudrais vivre! s’est-il écrié; je serais le curé de ce village, j’y coulerais doucement de longues années. — Puis, se tournant d’un air aimable vers notre jeune faucheur : — Et quand vous prendriez femme, je vous confesserais, je vous marierais...

— Oh ! a répliqué le camarade en changeant sa faux d’épaule, vous me marieriez, c’est possible; mais, pour ce qui est de me confesser, nenni da !

La réplique de ce faucheur a coupé sur pied les effusions lyriques de notre ami; il a fait la moue et s’est renfermé dans un silence boudeur.

— Eh ! eh! ami Tristan, a murmuré Everard en gravissant l’escalier de l’auberge, voilà un gaillard qui aurait bon besoin d’être évangélisé par saint Rouin!..


18 septembre. — Eperonnés par Tristan, qui craignait de manquer l’arrivée des pèlerins, nous étions sur pied à l’Angélus, Le jour commençait à poindre et les bois de Bellefontaine étaient surmontés