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et ses serviteurs épouvantés l’abandonnèrent. Il reconnut la main qui le frappait, se repentit, fit pénitence, et ce fut dans ces dispositions que le surprit le retour de Rodinge.

Celui-ci revenait de Rome réconforté et armé du don des miracles. Il n’avait qu’à planter son bâton en terre pour en faire jaillir des sources, et qu’à imposer sa main sur les malades pour les guérir. Austrésius le supplia de venir à son aide; Rodinge accourut, fit sur le moribond le signe de la croix, et lui rendit force et santé. Austrésius ne fut point ingrat; il donna au moine cette terre de Beaulieu, dont il l’avait jadis si brutalement expulsé. « Le temps de semer dans la tristesse et les larmes était passé; celui de moissonner dans la joie était venu. » Bientôt le monastère dressa au sommet du plateau sa riche église et ses cloîtres en arcades, sous l’invocation de saint Maurice.

Mais il n’est point de parfait sanctuaire sans une authentique et vénérable relique. Saint Rouin résolut de s’en procurer une qui fût précieuse entre toutes et assurât à son abbaye une féconde source de miracles. Il y avait aux pieds des Alpes du Valais un célèbre monastère, celui d’Agaune, où l’on conservait les ossemens du fondateur de la légion thébéenne, saint Maurice. Au retour d’un second voyage à Rome, saint Rouin s’y arrêta. « Brûlant, dit son historien, du désir de posséder une des reliques du saint, il s’adresse secrètement au prévôt de l’abbaye, le touche par son éloquence et lui promet en retour de riches offrandes. » Ce prévôt, ou plutôt l’un des gardiens de l’église, céda à ces argumens irrésistibles. « La nuit suivante, poursuit le panégyriste[1], car ils redoutaient l’un et l’autre la douleur et l’opposition des moines d’Agaune, ils vont au tombeau du martyr. L’abbé de Beaulieu y dépose ses présens et reçoit l’os de l’avant-bras de saint Maurice... Et avant que les regrets et les plaintes des religieux aient pu les entraver, nos pèlerins se hâtent de quitter le Valais. »

— Ho! ho! s’est écrié l’incrédule Everard, savez-vous bien qu’aujourd’hui votre saint serait condamné aux travaux forcés pour vol sacrilège, commis nuitamment à l’aide d’effraction?

— C’était une fraude pieuse, a répondu sèchement notre ami; elle était justifiée par la sainteté du but, et les bollandistes l’excusent en alléguant l’usage fréquent et la bonne foi de ces sortes de marchés[2]. D’ailleurs, omnia sancta sanctis, et ce qui prouve que

  1. Vie de saint Rouin, par l’abbé Didiot. — Manuscrit du bienheureux Richard. — Vita sancti Roding. « Auri pondus numerum excedens repromittit... os brachii a cubito quidquid usquam est gemmarum vel auri pretiosius recipit; moxque imperat suis fugam accelerare » (p. 535).
  2. « Hujusmodi sacrarum reliquiarum emptiones, ab antiquis frequenter factæ, bona eorum fide excusandœ sunt. » (Acta Sanctorum, t. XLIV p. 517.)