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longions le village dans la direction du ruisseau, il nous a récité la Chanson de la Bouteille :


Versez du charbon nuit et jour,
A plein tas, enfans! Plus encore!
Que la fonte, aux bouches du four.
Soit rouge comme un ciel d’aurore.
Charbon, fougère et sable fin,
La forêt donne tout, pour faire
Ce clair et frêle abri du vin :
Le verre.

Comme au souffle pur d’un enfant
S’enfle une bulle diaphane,
La bouteille se gonfle au vent
Du verrier soufflant dans sa canne ;
Elle sort du moule pesant,
Toute molle encore et vermeille.
Salut! cours le monde, à présent,
Bouteille !

Froids bordeaux, bourgognes fumeux,
A la couleur pourprée ou blonde.
Quels vins ignorés ou fameux
Chanteront dans ta panse ronde?
Quand un buveur décoiffera
Ta cire vierge, un jour de fête,
Quelle ivresse ensoleillera
Sa tête!

Quel gîte auras-tu? quel destin
T’attend sur ta route douteuse?
Panier d’argent, comptoir d’étain,
Nappe blanche ou table boiteuse?..
Chez les bourgeois ou chez les gueux,
Quelque part où le ciel t’envoie,
Mets tous les cœurs et tous les yeux
En joie.

Mais bien plutôt reste avec nous,
Bouteille du pays d’Argonne !
Qu’on te remplisse du vin doux
Chauffé par nos soleils d’automne.
Et qu’en octobre, assis au frais,
Un robuste coupeur de chênes
Te vide en l’honneur des forêts
Lorraines.


Tout en écoutant les vers de notre ami, nous avons atteint le ruisseau de la Biesme, qui sépare le département de la Meuse de celui de la Marne. A partir du ruisseau, la route de Sainte-Menehould s’élève en serpentant entre deux escarpemens boisés, et à