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et revenant tous, comme le lièvre, mourir au gîte. Ils gardent pieusement le souvenir et l’orgueil de leur antique origine, ayant en grand mépris les roturiers, qu’ils tiennent à distance et qu’ils appellent des sacrés-mâtins. Ceux-ci le leur rendent bien d’ailleurs ; ils les ont surnommés dans leur patois ; les hâzis, c’est-à-dire les brûlés, et il n’est sorte de propos ironiques qu’ils ne se permettent sur leur compte. Il y a dans la forêt de Beaulieu un hameau, Bellefontaine, qui n’est habité que par des familles de verners ; les mauvais plaisans prétendent qu’il n’existait dans tout le village qu’une seule épée ; les gentilshommes l’empruntaient tour à tour, aux jours de parade et de cérémonie, c’est pourquoi on l’avait baptisée la Fatiguée

Tristan s’est interrompu, car nous voici arrivés à la verrerie. Les hauts bâtimens de l’usine se dressent devant nous. D’espace en espace, des lueurs d’un rouge incandescent font dans la façade noire de radieuses trouées. L’un de ces trous éblouissans a une plus large embrasure ; c’est la grand’porte de l’usine, et de cette baie voûtée s’échappe une maîtresse gerbe lumineuse qui se prolonge bien loin au dehors, et se promène parmi les ombres de la forêt comme la queue d’une flamboyante comète. Nous entrons. Sous la haute toiture de tuiles s’élève un vaste rectangle de maçonnerie, dans l’intérieur duquel flambe la fournaise qui doit mettre en fusion les élémens du verre. Sur chacune des faces latérales du massif bâillent les bouches des fours ou creusets qui contiennent le verre et qu’on nomme des ouvreaux. Il s’en échappe une lumière aveuglante et une chaleur à peine supportable. La fonte gronde et détonne dans les creusets. Çà et là s’agitent les ouvriers chargés de surveiller l’opération, et leurs robustes silhouettes s’enlèvent en noir sur la violente clarté des ouvreaux. Les verriers ne sont pas encore arrivés ; ils dorment en attendant que le verre soit à point ; mais la fusion est presque complète, et leur rôle va commencer. Dix heures sonnent, un apprenti sort avec une lanterne et va frapper aux portes des maîtres souffleurs qui logent aux environs de l’usine ; devant chaque logement, il appelle les hommes à l’atelier en chantant d’une voix traînante : « À l’ouvreau, messieurs, à l’ouvreau ! »

Au bout d’une demi-heure, la verrerie bourdonne comme une ruche. Tout le personnel de l’usine est à son poste, et chacun prend la place que lui assigne son emploi, car, dans ce métier de verrier, il y a des grades bien distincts, et on ne conquiert le titre de maître souffleur qu’après avoir passé par les degrés successifs de porteur, de gamin et de grand garçon. Le gamin, armé d’une longue canne de fer creux, cueille le verre liquide dans le creuset et passe la canne au grand garçon, qui prépare cette masse vitreuse, d’une