Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/29

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des temps modernes : « Tant qu’à me battre derrière une muraille, je la préférerais en papier. » On restreint en même temps, le cuirassement, on le limite à la flottaison et on le remplace peu à peu par la subdivision de la carène en compartimens étanches. Les vaisseaux anglais, Dévastation, et Inflexible, sont déjà subdivisés, le premier en 68, le second en 89 compartimens. Le dernier mot est loin d’être dit en fait de construction navale et de moyens de guerre maritime. Tout change tous les jours, et un combat de mer serait plutôt décidé aujourd’hui par la supériorité des moyens d’attaque et de défense de navires bien conduits que par le plus grand nombre.

Cette transformation si rapide des conditions de la guerre maritime et la supériorité de la qualité sur la quantité qui en découlait étaient pour nous dans notre détresse une circonstance heureuse. Ne pouvant, dans l’état où se trouvait le budget, songer au nombre, nous pouvions, en faisant mieux et surtout plus vite que les autres, maintenir l’équilibre entre les marines étrangères et la nôtre; mais cette chance heureuse s’est retournée contre nous, parce qu’avec notre organisation actuelle il nous est impossible de faire vite. Pour faire vite, il eût fallu concentrer toutes les ressources sur un seul arsenal et, dans cet arsenal, sur un seul navire. On eût réuni sur lui tous les efforts, accumulé tous les perfectionnemens, et, en un an ou dix-huit mois, il eût été prêt. L’année suivante, on en eût construit un second perfectionné, et ainsi de suite; mais nous avons cinq arsenaux, et dans chacun d’eux une portion de notre personnel ouvrier est immobilisée. Ce fonctionnement en cinq était bon jadis, quand il y avait économie à conduire les arbres de nos forêts au port le plus proche, quand on construisait lentement en bois, quand la valeur du navire était d’autant plus grande qu’il avait séché plus longtemps en chantier. Ce temps est bien loin de nous aujourd’hui ; la marine a subi depuis cette époque une foule de transformations, ses besoins se sont modifiés; les circonstances qui avaient présidé à la création de nos cinq arsenaux ont changé, le fractionnement, leur a survécu. Peu à peu l’habitude s’est établie de considérer nos cinq arsenaux, comme les héritiers directs du budget, entre lesquels, en bon père de famille, on devait tout partager pour ne point faire de jaloux, et cette habitude a pris avec le temps force de loi.

Quand le bâtiment à vapeur a remplacé le navire à voiles, chaque port a reçu à grands frais son atelier de réparation de machines, tandis qu’un atelier à Toulon et deux dans l’Océan, joints aux ressources de l’industrie privée, eussent largement suffi. Lorsqu’il s’est agi plus tard de passer du navire en bois au navire en fer, au lieu de fonder dans un de nos ports un vaste atelier de 6 à 8,000 ouvriers, sorte de Creusot maritime, qui eût été un puissant et rapide créateur, on a encore partagé en cinq et chacun de nos