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tout accessoire et libre de toute chaîne, l’épreuve se pourra faire et l’expérience prononcer. Dès aujourd’hui, quelques réformes que l’on puisse adopter à l’égard de la solidarité des taxes, on peut dire que la commune russe ne donnera toute sa mesure que le jour où, pour jouir de son lot, le paysan n’aura plus de lourdes annuités à verser au trésor» Or cette rançon du servage, échelonnée sur quarante-neuf années, ne sera soldée que vers 1910.


VI.

L’opinion et le gouvernement auront-ils la patience de laisser à la propriété commune le temps de faire ses preuves, ou, entraînés par les inconvéniens actuels, se décideront-ils à couper par la racine l’arbre séculaire du mir, au lieu de l’émonder et de le débarrasser des plantes parasites qui l’étouffent? Peu de personnes réclament l’abrogation immédiate de la tenure commune, beaucoup demandent des mesures qui en préparent et facilitent la suppression. Aujourd’hui même, les communautés de village ne sont point indissolubles; la loi qui les a maintenues laisse aux intéressés le droit de les anéantir en faisant entre eux un partage définitif du domaine communal. Il suffit pour cela d’une décision de l’assemblée des paysans; cette décision doit seulement être prise à la majorité des deux tiers des voix. Les adversaires de la propriété collective sollicitent l’abrogation de cette disposition. Ils voudraient abandonner le sort des terres communes au vote de la simple majorité, se flattant qu’une telle modification amènerait à la longue la disparition de toutes ces sociétés agraires. Contre cette demande, en apparence modeste et légitime, peut s’élever une grave objection. La dissolution de la communauté n’est pas la seule question que, d’après la loi actuelle, le mir ne puisse trancher qu’à la majorité des deux tiers des votans. Il en est de même aujourd’hui de toutes les affaires de quelque importance. Il en est ainsi par exemple de tout ce qui concerne les partages, et cette restriction à la domination du nombre n’est pas sans motif. C’est un utile frein à la liberté du paysan, une sage précaution contre l’entraînement d’une assemblée ignorante, qui a d’autant plus besoin d’être contenue et protégée contre elle-même que dans sa sphère d’action elle est souveraine et omnipotente. Remettre à la simple majorité la plus grave décision que puisse prendre le mir, lui abandonner la dissolution de la communauté, ce serait renoncer, pour toute mesure administrative ou économique, à la salutaire garantie des deux tiers des voix.

Avec cette restriction même, la législation russe actuelle est une de celles qui opposent le moins de barrières à l’aliénation ou aux