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des forêts devait appartenir aux paysans, et que sous le régime du servage ils avaient habituellement le droit de tirer leur bois des forêts du maitre. Les serfs ayant racheté l’équivalent des terres dont ils jouissaient, le domaine communal est généralement formé de terres cultivées et de quelques prairies. Les dernières sont souvent encore exploitées en commun, les premières sont presque partout aujourd’hui partagées à intervalles réguliers entre les membres de la commune, pour être exploitées par chacun séparément, à ses risques et périls. La jouissance individuelle est ainsi universellement associée à la propriété collective.

Le communisme agraire conduit à une répartition périodique du sol. Il y a trois points à considérer dans ces partages, d’abord les titres qui donnent droit à un lot, ensuite les époques de division du territoire commun, enfin le mode même de parcellement ou d’allotissement. Sur ces trois points, sur les deux premiers surtout, il y a de grandes différences, de nombreuses variantes, selon les régions et les coutumes. Pour ce qui regarde les ayant-droit, il y a deux manières de procéder : tantôt le partage se fait par âme (doucha), c’est-à-dire par tête d’habitant mâle, tantôt il se fait par famille ou mieux par ménage, par tiaglo[1]. Le premier mode est généralement en usage chez les paysans de la commune, qui n’étaient soumis qu’à la capitation; le second chez les anciens serfs des particuliers, qui, répartissant leurs charges vis-à-vis du seigneur par tiaglo, répartissaient de même la terre que leur abandonnait le seigneur. Le lot de chaque famille est ainsi en raison du nombre de ses membres mâles, ou du nombre de ses membres adultes et mariés. On voit tout de suite quel encouragement donne à la population, dans un cas comme dans l’autre, ce système départage. Chaque fils venant au monde, ou chaque fils arrivé à l’âge d’homme, apporte à sa famille un nouveau lot de terre. Au lieu de diminuer en le divisant le champ paternel, une nombreuse progéniture l’agrandit. En droit, les femmes n’ont rien à prétendre à la terre; dans la pratique, elles y ont à peu près autant de part que les hommes, car avec le système de tiaglo, un lot étant donné à chaque couple, c’est la femme qui ouvre au mari l’accès de la propriété. Aussi la Russie est-elle le pays de l’Europe où il y a le plus de mariages, et en même temps le pays où les mariages sont le plus féconds. Grâce à cette double supériorité le nombre des naissances, en Russie, est proportionnellement presque le double du nombre des naissances en France. La rigueur du climat, le manque de bien-être, et par-dessus

  1. Le mot tiaglo signifie une charge, une redevance ou contribution, et par suite les gens qui doivent cette redevance. Au temps du servage, on désignait par ce terme l’unité de travail à fournir au seigneur par famille, par ménage. Aujourd’hui on entend d’ordinaire par tiaglo tout couple marié.