Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/240

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des entraînemens réactionnaires, d’aider à la conciliation des partis, de faire revivre des institutions libérales. Pendant ces deux années, le cabinet d « Madrid n’a été occupé qu’à pacifier ; il a fait des élections, il a réuni des chambres et il va les réunir encore prochainement ; il a obtenu le vote d’une constitution qui, sans désarmer le gouvernement, sans livrer l’Espagne aux propagandes agitatrices, offre toute garantie aux opinions sincères. C’est assurément l’œuvre politique la plus honorable, la plus judicieuse, poursuivie avec autant de maturité que d’intelligence au milieu d’un pays bouleversé. Est-ce que ce serait déjà trop, pour les partis extrêmes, de ces deux années de repos dont vient de jouir l’Espagne ? On le dirait, puisque voilà encore des complots qui heureusement ne répondent à aucun sentiment public, qui ne semblent imaginés que pour entretenir une certaine agitation au-delà des Pyrénées, pour interrompre la prescription au profit des révolutionnaires en disponibilité.

On aurait pu s’en douter lorsqu’il y a quelques semaines a paru un manifeste diffus qui avait la prétention d’être l’évangile de la prochaine révolution au-delà des Pyrénées. Un ancien ministre radical, M. Ruiz Zorrilla, et M. Nicolas Salmeron, qui a passé au pouvoir sous la république, avaient mis leur génie en commun pour produire ce morceau de logomachie démagogique, pour tracer le programme d’un nouveau bouleversement de l’Espagne au nom de ce qu’ils appelaient « le parti républicain réformiste. » Il y avait jusqu’ici le parti républicain fédéraliste, le parti républicain unitaire, le parti républicain libéral, voilà maintenant le « parti républicain réformiste » qui apparaît à l’horizon. M. Ruiz Zorrilla et M. Salmeron se proposaient en effet de tout réformer, la constitution, les lois civiles, les lois économiques, l’armée, l’administration, la justice, les finances, etc., « et comme l’heure des grands événemens s’approche, disaient-ils, il serait insensé qu’ils nous trouvassent, sinon au dépourvu, tout au moins sans organisation. »

Il paraît que ce n’était pas seulement un mot. M. Ruiz Zorrilla aurait voulu passer à l’exécution : il avait désigné des fonctionnaires, des généraux au nom de la nouvelle dictature démocratique, et l’heure où devaient éclater les a grands événemens » aurait même été indiquée. Par malheur pour M. Zorrilla, le gouvernement, lui aussi, n’a pas été pris « au dépourvu ; » il a mis la main sur « l’organisation, » il a fait arrêter un certain nombre de personnes, quelques généraux improvisés sous la république, laissés depuis en disponibilité, et la conspiration s’est évanouie ! A-t-elle été réellement un danger ? Il faut convenir que c’était une idée étrange. Les conspirateurs proposaient tout simplement à l’Espagne, à peine reposée, de revenir à un régime qui lui a procuré les insurrections communalistes, les incendies d’Alcoy et de Carthagène, l’insurrection carliste, la dévastation et la ruine. De plus ces chefs de révolution auraient été singulièrement choisis s’ils n’avaient eu le soin