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de peine à rassurer le pays sur sa politique, à joindre ses protestations paciflques à toutes celles qui retentissent dans les parlemens européens. Que peut-on demander à M. le duc Decazes ? On n’a vraiment à lui demander que de la circonspection, une réserve ménageant toutes les relations utiles, et la première condition pour l’aider à remplir sa tâche, c’est de ne pas trop le provoquer à parler, de lui laisser la liberté du silence. Tous les partis sérieux qui ne mettent pas la politique dans des excentricités prétentieuses ou hargneuses, semblent comprendre la nécessité de ne toucher qu’avec prudence à ces redoutables questions extérieures. Dans les affaires intérieures, où l’on se croit plus libre de se passer toutes ses fantaisies, la difficulté sera peut-être un peu plus grave. Le mieux serait sans doute que la chambre des députés s’occupât exclusivement de la discussion du budget et même qu’elle se hâtât, ne fût-ce que pour laisser au sénat le temps et la liberté d’examiner sérieusement à son tour la loi des finances. On éviterait du moins ainsi pour le moment la politique, les conflits possibles entre la majorité du sénat et la majorité de la seconde chambre, entre ces majorités diverses et le gouvernement, toutes ces complications laborieuses d’une situation parlementaire qui n’est pas des plus simples. Ce serait désirable, ce n’est peut-être pas réalisable. Par la force des choses, on se retrouve toujours, même à propos du budget, en face de la politique, en présence de ce problème aussi grave que délicat du caractère que gardera la république nouvelle.

Une majorité, eh ! sans doute il y a une majorité pour la république dans la chambre des députés, ceux qui prétendent disposer des partis l’assurent ; il n’est pas moins vrai que cette majorité est plus bruyante que coordonnée, plus passionnée que sérieusement politique, et que tout dépend encore des conditions dans lesquelles elle finira par se former et se fixer. La question est toujours de savoir si les fractions modérées ou avisées l’emporteront définitivement, si elles parviendront à imprimer une direction, ou si elles se croiront à chaque instant obligées, pour maintenir une homogénéité d’apparence, de faire quelque concession aux républicains extrêmes. Tant que cette question ne sera pas résolue, on aura moins une majorité de gouvernement sous la république qu’un assemblage d’élémens incohérens maintenus avec peine dans une discipline laborieuse. Au fond c’est tout l’intérêt du discours que M. Gambetta vient de prononcer à Belleville. M. Gambetta, nous n’en disconvenons pas, est un esprit ouvert qui comprend que la république ne peut vivre qu’en offrant toute garantie au pays dans ses affaires, dans ses intérêts, dans sa sécurité. Lui-même il s’essaie volontiers à ce rôle d’homme d’affaires, et comme président de la commission du budget il a entrepris de réduire à des termes pratiques un système d’impôt sur le revenu ; il a fait un rapport qui n’a eu qu’un malheur, celui d’être détruit de fond en comble avec un spirituel bon sens par