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pas atteinte, puisque la fonction subsiste, bien que le traitement, fixé par un décret, ait disparu. Cette subtilité ne résiste pas à l’examen. C’est en effet un principe consacré par toute notre jurisprudence, que les ordonnances royales et les décrets portant règlement d’administration publique ont la même force et la même autorité que la loi qu’ils complètent, lorsqu’ils ont été rendus en exécution d’un article de cette loi, le pouvoir exécutif ayant agi en vertu d’une délégation spéciale de la législature. La perception de la plupart des impôts ne s’opère qu’en vertu de règlemens d’administration publique, la loi ayant seulement posé le principe de l’impôt. S’imagine-t-on que la hiérarchie et la position des officiers de l’armée, des magistrats, des ingénieurs: etc., puissent être changées autrement que par une loi spéciale ? Pourquoi, sous la monarchie de juillet et sous l’empire, a-t-il sans cesse été question de fixer par une loi le cadre et les traitemens du personnel des ministères ? C’est qu’on voulait assurer aux employés des ministères, dont la hiérarchie et la position sont réglées par de simples arrêtés ministériels, les mêmes garanties qu’aux fonctionnaires proprement dits, en les mettant, comme ceux-ci, à l’abri de l’arbitraire des ministres et des surprises de la discussion du budget.

Si des droits acquis et prenant leur origine dans la loi pouvaient être atteints par la voie détournée que l’on emploie contre les aumôniers militaires, rien ne garantirait les retraités contre la réduction ou la suppression de leurs pensions, ou les porteurs de rentes contre la réduction des arrérages : il suffirait de modifier quelques articles du budget pour bouleverser toutes les positions. Cela est tellement contraire à toutes les notions de droit, que la France est le seul pays au monde où de pareilles questions puissent se poser. Aux États-Unis, le fonctionnaire, indûment dépouillé de son traitement, en appellerait à la cour suprême, qui annulerait le vote du congrès ; en Angleterre, il aurait son recours devant les tribunaux, qui lui feraient justice en lui donnant une action sur les propriétés et les fonds appartenant à l’état. En France, et c’est là une des plus grandes plaies de notre pays, sous prétexte de maintenir la séparation des pouvoirs et de prévenir les empiétemens de la judicature, on a enlevé aux particuliers, dans leurs contestations avec l’état ou avec les administrations publiques, la protection des tribunaux et les garanties du droit commun : les intérêts les plus considérables sont livrés à un arbitraire plus redoutable que celui de l’ancien régime.

Si la chambre des députés considère la loi. du 20 mai 1874 comme préjudiciable à l’armée, elle a toute facilité d’en voter l’abrogation. Si l’on répond que l’on n’a point suivi cette marche de